Les réverbères : arts vivants

Renaître de ses ruines

Qui sommes-nous lorsque le corps dans lequel nous sommes né·e·s et nos traits changent en même temps que le cœur de notre ville ? Ni tout à fait le même, ni tout à fait un·e autre, assurément. C’est cette double histoire sobre et puissante qu’est venu nous raconter le poète, auteur et acteur libanais Hashem Hashem sur la scène des Amis Musiquethéâtre.

Le 4 août 2020, une explosion détruit le port de Beyrouth et endommage des quartiers entiers. Cette déflagration, l’une des plus grandes explosions non nucléaires de l’histoire, fait quelque 220 morts, plus de 6500 blessés et défigure des pans entiers de la capitale libanaise. Trois ans plus tard, le pays est dans un profond chaos économique, social et politique. Mais Beyrouth, depuis plus de 7000 ans, a toujours su renaître de ses cendres en se transformant sans cesse.

Le poète, écrivain et interprète Hashem Hashem vit là-bas. Il parle de sa ville avec déférence, comme on parlerait d’une mater dolorosa, sans jamais douter de sa capacité de résilience. Or, en parallèle de cette période trouble pour le Liban, Hashem Hashem vit sa propre transformation. Femme jusqu’en 2019, il devient peu à peu un homme transgenre.

C’est ce double mouvement, individuel et collectif, qui nous est raconté sur scène. Le texte fait la part belle à une intimité pudique qui revient sur les tempêtes pouvant agiter les corps humains, urbains et sociaux. La sobriété de la mise en scène de Patricia Nammour – plateau quasi nu, murs et habits noirs, éclairage intimiste – renforce une nouvelle fois la force, la sincérité et la vérité de cette humble quête d’identité. Le propos nous rappelle que la liberté est un combat, surtout dans un pays comme le Liban qui a encore récemment interdit la projection du film Barbie sous prétexte d’incitation à l’homosexualité.

Les mains dans les cendres de sa vie passée, Hashem Hashem avoue avoir rencontré récemment l’autre personne qui vit en lui, celle qui va l’accompagner dans sa transition testostéronée. Après trois décennies dans un corps de femme, il entame ainsi un voyage qui va le conduire à l’essence de son identité. La mise en abyme avec Beyrouth est intelligente : il y a quelque chose d’abimé, il faut le déconstruire pour ensuite laisser naître des nouveaux possibles.

Lisons ce qu’en dit le principal concerné : « Alors que ma ville adorée, Beyrouth, était en proie aux explosions et à une crise globale très violente, j’ai ressenti ces bouleversements physiquement et souhaité explorer ces deux transitions de manière conjointe. Incarner le texte sur la scène était un besoin personnel et politique. Mon titre rappelle qu’en dépit de tous les changements que l’on peut opérer dans les comportements, les apparences, les lieux, on reste les mêmes, avec nos souvenirs, nos désirs, nos rêves… Malgré tout, Beyrouth a gardé son ancrage et ses émotions… »[1]

Témoigner. Parler de soi pour parler de l’autre. Et faire tomber les masques. C’est beau lorsqu’on sent que le théâtre sert à ça. À dévoiler le rêve d’un horizon sociétal bigarré où l’on épèlerait tous en chœur les sept lettres du mot-clé du refrain de la chanson éponyme d’Aretha Franklin[2].

L’artiste libanais parle de la scène comme d’un espace et un temps permettant de réunir des fragments identitaires, individuels et collectifs. La scène comme une agora cathartique qui permet de panser l’avant et de penser l’après. La scène comme un lieu sacré. Il faut voir comme ce spectacle vibre d’une intense énergie spirituelle.

On l’aura compris, le travail de cet artiste se concentre sur les questions de genre, de sexualité et des droits de l’Homme au Liban. Dans un propos où chaque mot a son importance, le poète devient acteur et nous offre une prière pour la tolérance et l’espoir. Hashem Amen.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, de Hashem Hashem, aux Amis Musiquethéâtre, dans le cadre de La Bâtie – Festival de Genève, du 4 au 7 septembre 2023.

Dramaturgie : Patricia Nammour

Avec Hashem Hashem

Photos : © Noemi della Faille

[1] Extrait d’une interview disponible à cette adresse : https://www.lorientlejour.com/article/1348428/hashem-hashem-ni-tout-a-fait-le-meme-ni-tout-a-fait-un-autre-.html

[2] R.E.S.P.E.C.T https://www.youtube.com/watch?v=6FOUqQt3Kg0

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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