Les réverbères : arts vivants

Renaud chante Renaud… et c’est beau

Le Théâtre le douze dix-huit accueille la tournée intercommunale du chanteur Renaud Delay. Celui-ci, entouré de quatre potes musiciens, nous offre un spectacle musical surprenant, tendre et nostalgique quand il ne dévisse par dans des délires originaux et parfaitement assumés. Où qu’il se produise, cela vaut la peine d’aller voir cet hommage décalé à l’autre Renaud – le chanteur énervant au bandana rouge. Explosif, drôle et touchant.

En venant de Vaud, une fois passé le giratoire du Grand-Saconnex, si vous avez de la chance de prendre la bonne présélection (…), vous finirez par trouver la jolie scène du douze dix-huit. Sur celle-ci, un univers bigarré : chambre d’enfant à jardin (avec un train électrique, des pochettes de vinyle et cd, un auto-cassette, quelques livres et un marsupilami géant) et instruments de musique posés ci-et-là sur des petites estrades de circonstance.

Arrive Renaud Delay et son allure d’adolescent pré-quarantenaire. D’emblée, il a ce petit quelque chose attachant qui crée l’alliance avec le public. On comprend qu’il va croiser l’histoire de sa vie avec celle de son homonyme parisien puisque ce dernier est l’idole du papa du premier… d’où le prénom… vous suivez ?

Il nous embarque alors dans ce qui est, pour certains comme votre serviteur, une bande-son si attachante du voyage de nos vies. Il remonte alors dans son enfance pour dépoussiérer plusieurs classiques du gavroche de Paname… et la magie fonctionne. Au piano, à la guitare et au micro et avec la complicité de ses quatre musiciens talentueux, le Renaud d’ici nous embarque au pays de la joyeuse nostalgie de celui de là-bas. On se surprend très vite à fredonner la plupart des chansons et à les redécouvrir comme une vieille paire de santiags qu’on aurait trop longtemps oubliée dans ton sac.

Entre deux chansons, le public a le droit à des anecdotes, tantôt concernant la souris des champs, tantôt celle de la grande ville. Il y a la découverte pudique de l’intimité de Renaud Delay lorsqu’il nous parle tendrement de son frère disparu avant d’entonner « Tu peux pas t’casser, il pleut…». Et il y a des moments géniaux d’adaptation musicale et scénique des chansons du grand artiste. À ce propos, mentions spéciales réussites pour le rap de « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? » et la comédie musicale déjantée autour de la rencontre amoureuse avec Germaine. Le climax du délire est atteint lorsque l’ange d’Elton John tout fringuant débarque sur scène pour chanter « Rester vivant… » qui donne en anglais le célèbre « I’m still standing… » mais ne divulgâchons pas tout… A noter aussi que les quatre complices de Renaud Delay, loin d’être des faire-valoir indispensables sont aussi capables de créer de très jolis moments musicaux aidés d’instruments aussi insolites qu’un pipeau, qu’un xylophone ou qu’un ukulélé.

Vous l’aurez compris, l’humour traverse ainsi tout le spectacle avec, ci-et-là, de géniales saillies verbales comme lorsqu’il est dit que « Renaud, qui a aujourd’hui plus de 70 ans, n’a de cesse de se lancer de nouveaux défis, de nouvelles contraintes, comme celle de chanter tout son répertoire sur une seule note… » Définitif.

La qualité de ce spectacle réside ainsi dans un équilibre maîtrisé entre l’hommage irrespectueux au mythe et la bonne blague entre des potes qui ont créé un truc sérieux sans se prendre au sérieux. Entre poésie, déconnade et joie de vivre, on retrouve ce qui fait la signature de l’œuvre du grand Renaud. La chute est elle aussi réussie avec la plus belle chanson de tous les temps, Mistral Gagnant, simplement interprétée au piano, et qui nous laisse en équilibre entre le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté[1] : Il faut aimer la vie, et l’aimer même si…

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

Renaud chante Renaud, au Théâtre le douze dix-huit, du 17 au 21 avril 2024.

Mise en scène : Julie Burnier et Renaud Delay

Avec (jeu et musique) Renaud Delay, Sébastien Chave, Jean-Valdo Galland, Nadir Graa et Jean-Samuel Racine

https://ledouzedixhuit.ch/spectacle/renaud-chante-renaud/

Photos : © Sylvain Chabloz

Par la compagnie Silence in the studio.

[1] Citation d’Antonio Gramsci.

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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