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Retour à Liverpool : les Beatles et la crise de la quarantaine

Avec Retour à Liverpool, le scénariste Hervé Bourhis et le dessinateur Julien Solé signent une BD uchronique où les anciens Beatles se trouvent entraînés dans une foule d’aventures plus délirantes les unes que les autres.

Janvier 1980. Cela fait dix ans que les Beatles sont séparés et la décennie à venir ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices pour les Four (ex-)Fabulous : Ringo Starr tourne un navet au Mexique (et est miné par l’alcool), tandis que Paul McCartney est arrêté à Tokyo en possession de marijuana. Il faut dire que son nouveau single avec les Wings, Silly Love Song, n’est pas des plus mémorables, ce qui fait dire à John que « Paul est vraiment mort en 69 » (p. 5). Quant à John Lennon lui-même, il est, certes, encore vivant mais n’a rien produit depuis cinq ans – autant dire une éternité. Alors, avant de « revenir dans le jeu » (p. 8), il s’embourgeoise sur un yacht aux Bermudes et semble subir de plein fouet la crise de la quarantaine…

Lennon déprime, donc. Il a le sentiment d’être has been et veut retourner voir la ville de son enfance : « Putain, j’y suis pas allé depuis combien de temps à Liverpool ? J’ai envie, mec. Je vais avoir 40 ans. » (p. 14). Si les dialogues ne volent pas haut, le dessin rehausse le niveau, avec son noir et blanc crayonné et ses décors léchés, qu’il s’agisse de paysages maritimes ou, bien évidemment, de The Pool (l’étang, le surnom de Liverpool).

« Si je m’en sors je reforme les Beatles !! » (p. 17)

L’élément déclencheur survient après 17 pages : pris dans une violente tempête, John tempête lui aussi : « Si je m’en sors je reforme les Beatles !! » C’est à ce moment-là que l’on bascule dans l’uchronie car, s’il est bien revenu à la musique en 1980, c’est pour son dernier album solo (ou plutôt en duo, avec Yoko Ono),  aux côtés des Beatles. L’autre élément déclencheur, c’est un accident de voiture de Ringo qui incite ses amis à aller le voir et l’emmener passer un week-end à Liverpool…

Lunettes noires, fausses moustaches, barbes et boucs qui font davantage penser à Village People qu’à Sgt. Pepper, ils débarquent dans la ville de leurs débuts. La reformation dont parlait John a donc bien lieu même si c’est plutôt sous forme musicale qu’on l’attendait, et qu’il manque toujours George, personnage plutôt délaissé de ce Retour à Liverpool, qui donne quand même l’occasion aux Beatles de se replonger dans leur jeunesse et de constater s’ils ont (ou non) été oubliés. L’occasion pour nous d’« entendre » des chansons des débuts du groupe (I Saw Her Standing There, Don’t Bother Me…). La mythologie est complète, les auteurs n’oublient pas le parc Strawberry Field, qui a inspiré la chanson, citent (puisqu’il est fermé en 1980) le Cavern Club où le groupe s’est produit, ainsi que tante Mimi qui a élevé John… Hervé Bourhis connaît visiblement ses Beatles sur le bout des doigts.

George : C’est quand la dernière fois qu’on a été ensemble ?

Ringo : Je dirais septembre 69. J’ai un super bouquin qui recense tout ce qu’on a fait jour après jour.

Le noir et blanc donne un côté rétro, un peu comme de voir un film muet même s’il est actuel. Pourtant le livre ne se complaît pas dans le passé, le télescopage des époques intéressant visiblement davantage Bourhis. Ainsi, George est moqué sur sa tenue par des punks ; John, Paul et Ringo se « mettent à jour » en regardant Supertramp, les Buggles (Video Killed the Radio Star), The Knack (My Sharona), Gary Numan (Cars) ou Elvis Costello (« Il n’y a qu’un seul Elvis et il est mort… », dixit John, page 48) à Top of the Pops. Sans compter que l’histoire bifurque constamment : la reformation des Beatles, c’est leur réunion physique à Liverpool, le tournage d’un film d’après Bilbo le hobbit, l’enregistrement d’un nouvel album ? Les trois, possiblement.

On note bien quelques anachronismes (les Housewives, groupe présumé réunissant Yoko Ono et Linda McCartney, ont de faux airs de Daft Punk) mais de belles connaissances du sujet aussi : George a effectivement produit un film de Terry Gilliam (Bandits, Bandits en 1981) ou quand John menace de remplacer George par Clapton sur le tournage du film, sachant qu’Eric Clapton lui a effectivement volé sa petite amie…

« Pssst, George ! Assure ou on te remplace par Eric Clapton… Tu as souvent été remplacé par lui dans ta vie, n’est-ce pas ? » (p. 56)

Outre le dessin et le sujet, l’intérêt majeur de Retour à Liverpool réside dans l’esprit de liberté de cette bande dessinée, avec des courses poursuites, un passage à tabac par des skinheads, des fans qui s’appellent Polythene Pam, Michelle et Eleonor (Rigby !) ; Freddie Mercury qui se fait sèchement rembarré par John, ce même Lennon qui se fait refouler d’un concert de The Cure au Marquee (club mythique du rock) où son fils Julian entre, lui. Cela rappelle – toutes proportions gardées – les films et dessins animés réalisés avec les Beatles à leurs débuts : comme ce Retour à Liverpool, Quatre garçons dans le vent, Help!, Magical Mystery tour ou Yellow Submarine avaient ce même côté délirant, frais et léger des premières œuvres. Si cette BD devait être comparée à un album des Beatles, ce serait donc à ceux-là, les premiers, naïfs et spontanés, ou aux films (physiques ou animés) délirants. Cela n’en fait pas un chef-d’œuvre du niveau de l’album concept Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club band, d’Abbey Road ou du double album « blanc » mais cela possède un certain charme. Indéniablement.

Bertrand Durovray

Le dossier final, réalisé par Hervé Bourhis remet les événements dans leur réalité, afin de ne pas laisser croire au lecteur peu aguerri que l’histoire de Retour à Liverpool peut être vraie car, même si elle est vraisemblable, tout ce qui y est relaté n’est qu’un conte.

Référence : Retour à Liverpool d’Hervé Bourhis (scénario) et Julien Solé (dessin), éditions Futuropolis, 2021, 96 pages.

Photos : DR

Bertrand Durovray

Diplômé en Journalisme et en Littérature moderne et comparée, il a occupé différents postes à responsabilités dans des médias transfrontaliers. Amoureux éperdu de culture (littérature, cinéma, musique), il entend partager ses passions et ses aversions avec les lecteurs de La Pépinière.

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