Slow journalisme : Albert Londres dans Sept
Si je vous dis slow journalisme, littérature du réel et 100% suisse made, vous me répondez ? Sept, évidemment ! Ce média numérique et papier a fait le pari de penser un journalisme différent, prônant lenteur et qualité. À l’occasion de la sortie de son 34e mook, focus sur un auteur qui ne cesse pas de l’inspirer : Albert Londres.
J’imagine déjà vos têtes, en me lisant : dans ce chapeau, il y a décidemment beaucoup de termes qui méritent explications, de termes que vous n’avez peut-être jamais entendus – et vous avez raison ! Car Sept est loin d’être un média ordinaire. Suivez le guide, je vous propose un petit tour d’horizon.
Sept, kézako ?
Commençons par le commencement. Sept est un média numérique (www.sept.info) publiant des histoires inédites. Sa naissance remonte à l’année 2013, lorsque Damien Piller, avocat d’affaires, donne carte blanche à Patrick Vallélian, grand reporter, pour créer un nouveau média. Il faut attendre 2014 pour que l’aventure débute à Fribourg. Le créneau de Sept ? Le « slow journalisme » – autrement dit, le journalisme qui prend son temps, qui ne court pas après l’actualité, qui ne travaille pas à partir des informations des agences de presse ou de communication. Ce journalisme entend être utile à ses lectrices et lecteurs. Utile, mais pas utilisé (Sept revendique sa totale indépendance), ni utilitaire (Sept n’entend pas prôner le divertissement). Il s’agit de donner une lecture du monde, personnelle et informée, qui varie selon les auteur·trice·s, photographes, illustrateur·trice·s qui s’expriment. Avec la conscience que l’information, pour être présentée de manière aboutie et réfléchie, ça prend du temps[1].
Cette volonté de faire du slow journalisme se couple, chez Sept, avec une appétence certaine pour un genre particulier d’écriture : la littérature du réel. Non-fictionnelle, la littérature du réel mêle technique journalistique (comme la récolte et la vérification de l’information) et narration littéraire (usage de dialogues ; présence du je ; reconstruction fictionnelle des zones d’ombre ; emprunt au théâtre, par exemple, ou à d’autres genres littéraires). Ce type d’écriture, répandu dans le monde anglo-saxon, se révèle plus minoritaire dans le domaine francophone. Sept se propose ainsi de remédier à ce vide et se donne comme modèle des prédécesseurs prestigieux – Nicolas Bouvier et Albert Londres en tête. Partant de cette philosophie, Sept propose sur son site deux récits originaux par semaine, souvent en plusieurs épisodes. Précision : les articles sont payants. Pourquoi ? Sept l’explique très simplement, en toute honnêteté :
« Quand c’est gratuit sur le net, c’est vous qui êtes le produit ! La gratuité est destructrice de valeur et ne crée aucune rentabilité. Elle ne permet donc pas d’offrir des salaires décents à nos auteurs et partenaires. Et sans eux, pas de journalisme de qualité[2]. »
Chez Sept, on parle politique, histoire, économie, société, arts, littérature, voyage, écologie… au gré des envies. Si certains sujets s’avèrent très helvétiques, d’autres font voyager à travers le monde entier. En parallèle, une revue trimestrielle rassemble les articles les plus percutants du site internet, sous forme de numéro thématique : Sept mook. « Mook » est la contraction entre magazine et book ; il s’agit donc d’un magazine long-format (autour de 200 pages), richement illustrés en photos et / ou dessins qui accompagnent les différents récits. Cerise sur le gâteau : les mooks de Sept proposent une immersion en réalité augmentée. Grâce à une application dédiée, téléchargeable gratuitement, il est possible de découvrir des contenus numériques (audio, vidéo, iconographiques, etc.) liés aux articles, disponibles en tout temps sur votre smartphone ! Un plus qui, loin de relever du gadget, transforme l’expérience de la lecture pour lui donner une résonnance à la fois ludique et documentaire plus large. Enfin, si vous avez envie vous-même de tenter l’aventure, Sept met à disposition une plateforme participative : https://sept.club/
Sur les traces d’Albert Londres
Pour son 34e mook, sorti au printemps 2021, Sept se tourne vers ses sources d’inspiration et met à l’honneur un grand reporter français : Albert Londres. Né en 1884 à Vichy, Londres est connu pour ses reportages engagés et sa fin tragique en 1932, dans l’incendie du paquebot Georges Philippar. Sous son patronage, Patrick Vallélian signe un éditorial sans concession. La figure Albert Londres, dont la mort mystérieuse a été largement récupérée par les médias de l’époque afin de nourrir une série de fake news (s’agissait-il d’un accident… ou a-t-on cherché à le faire taire, au retour d’une enquête en Chine ?), trouve en effet écho dans notre monde contemporain :
« Et ne croyez pas que les années 1930, c’est de l’histoire ancienne. Nous vivons désormais tous les jours des crises similaires dont se nourrissent les GAFAM, les géants du web. L’information est devenue le champ de bataille privilégié des grandes puissances, des gouvernements, des lobbies, des “ismes”. Un lieu de chaos où tous les coups sont permis. Qu’importe la vérité, tant qu’on a l’ivresse du clic. Qu’importe si leurs mensonges laissent des cadavres sur le bord du chemin. » (p. 10)
Sur les traces d’Albert Londres, Sept propose des reportages inédits (au milieu de l’Amazonie, en compagnie d’Olivier Weber, dans « Du bagne aux ténèbres de l’eldorado »), des retours historico-biographiques (« Un trou dans l’eau », de Bernard Cahier, revient sur la mort du journaliste, au large d’Aden ; Hervé Brusini présente les coulisses du prestigieux prix Albert Londres, qui récompense depuis 1932 les meilleurs grands reporters francophones), un portfolio noir / blanc dans des régions balayées par la guerre (« Ma route d’Orient », de Philippe Rochot)… sans oublier des extraits tirés de l’œuvre de Londres, déjà publiés ou inédits. En ressortant de cette lecture, l’envie de voyage, de découverte, d’aventure et d’adrénaline palpite, juste au bout des veines. Et si on partait, là, tout de suite ?
Au final, Sept remplit son pari avec ce 34e mook – comme avec le précédent, d’ailleurs. Car ce média pas comme les autres concourt à élargir notre horizon, tout en nous mettant face à une vérité urgente à prendre en compte : une information de qualité, ça prend du temps, ça a un prix. Mais ça vaut le coup.
Magali Bossi
Références : « Albert Londres, prince des reporters », 34e mook de Sept, printemps 2021, 195p.
Photo : © Magali Bossi
[1] Le manifeste de Sept résume parfaitement ses différentes prises de positions : voir ici.
[2] Voir sur https://www.sept.info/vos-questions.