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Mondes imaginaires : il était une fois… (2)

L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées à une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs. 

Mondes Imaginaires proposent donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offrent des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires proposent un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participants peuvent, s’ils le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !

Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Aujourd’hui, c’est Valérie Vuille qui vous propose son texte. Le thème ? Les contes de fées d’ici et d’ailleurs… Attention : il y aura un chat volant ! Bonne lecture !

* * *

Entre rêve et réalité

Il était une fois, dans un pays très très lointain

Ah, je vous vois venir ! Sois plus précis avec ton histoire… Une fois quand ? Il y a 20, 10, 100 ou 1000 ans ? C’est pas pareil hein ! Eh ben, je ne vous le dirai pas, voilà na ! À vous de le deviner.

Je reprends donc. Il était une fois, le vieux Sarkabam qui voyageait de maison en maison sur son vieux chat volant.

Un chat volant ? Sérieusement ? Mais qu’est-ce que tu vas encore inventer là ? Ah, je vous entends déjà remettre en cause la crédibilité de mon histoire ! Pourquoi un chat, d’abord ? Eh bien, un chat, c’est ce qu’il y a de plus pratique pour voyager la nuit. Voyez-vous, contrairement aux autres animaux, chevaux, dromadaires ou autres éléphants, les chats voient dans le noir, eux ! Avec les yeux en guise de phare et la queue pour chasser les moustiques nocturnes, c’est une des meilleures montures que l’on pourrait avoir la nuit. Et puis, oui, les chats volent, c’est très crédible. Vous ne les avez jamais vu voler ? On dit toujours qu’ils retombent sur leurs pattes et ça ne vous a jamais tilté ? D’où tombent-ils, d’après vous ? Du ciel, pardi !

Bon, je reprends donc… Il était donc une fois, le vieux Sarkabam qui faisait sa tournée habituelle. Il passait de maison en maison, tous les soirs de toutes les nuits, pour conter aux enfants les fruits de son imagination et les emmener aux pays des rêves.

Enfin, je vous vois venir. On s’entend bien. « Au pays des rêves », c’est une expression. Je ne suis pas en train de prétendre qu’au-delà de nos frontières, il existerait un pays imaginaire à la Peter Pan. Non, non, non ! Vous voyez, quoi, pyjama, les dents, une histoire et au dodo !

Au pays des rêves, donc… enfin, au pays de leur subconscient. Le vieux adorait son métier ! Il aimait voir les regards émerveillés des enfants qui l’attendaient avec impatience devant la porte. La mine soulagée des parents, qui, enfin, pouvaient s’occuper d’eux.

Enfin… s’occuper d’eux… Payer les factures… ranger la table du souper… faire la vaisselle et peut-être, si le temps le permettait, boire un petit verre de vin. Ça se saurait, s’il existait un monde féérique, où oiseaux et souris faisaient le ménage à la place des adultes.

Comme à son habitude, Sarkabam se rendait dans la petite maison rouge au bord de la falaise. Il adorait cette petite maison, car il y vivait un petit garçon toujours curieux des nouvelles histoires du vieux. Il était d’ailleurs parfois dur à endormir, le petit. Sarkabam lui réservait toujours ses histoires les plus longues. Il faut dire que le vieux ne répétait jamais la même histoire !

Comment ça, me direz-vous ? Mais comment fait-il ? Êtes-vous en train de me dire qu’un homme seul avait le temps d’écrire assez d’histoires pour endormir tous les enfants du monde et de les leur raconter durant la même journée ? Alors, déjà que l’histoire de la tournée était douteuse, là… Mais oui, je le dis. Sarkabam défiait le temps et l’espace, et écrivait et racontait des milliers d’histoires durant la même journée ! Et si ça ne vous plait pas, eh ben tant pis ! Laissez-moi raconter maintenant !

Donc, Sarkabam se rendait dans la petite maison rouge, où vivait Morpheum

Et pourquoi pas une fille, d’abord ? Pourquoi un petit garçon ? Eh ben, c’est mieux les garçons qui rêvent… Mais chut ! Voilà… Par votre faute, je raconte déjà la fin de l’histoire.

Donc… Morpheum était un petit garçon sage et appliqué. Un enfant, comme les parents rêvent d’en avoir. Il était doué à l’école, rangeait sa chambre et surtout, surtout, ne se faisait pas prier pour aller au lit ! C’est que le petit garçon savait : plus vite il serait couché, plus tôt le vieux arriverait ! Il adorait les histoires du vieux… Chaque soir, de chaque nuit, il luttait pour ne pas s’endormir. Rappelez-vous, Morpheum était malin ! Il savait que le vieux ne partait jamais avant que sa mission ne soit accomplie ! Il ne laissait jamais, au grand jamais des jamais, un enfant éveillé derrière lui.

Vous voulez dire, que dans votre pseudo-pays-imaginaire, les enfants ne se réveillent jamais après les histoires ?… Eh ben… oui…

Morpheum avait tout essayé pour rester éveillé. Il avait cherché dans les grimoires de plantes de la bibliothèque.

Ah ben… voilà qu’il ajoute des sorcières et des sorciers à l’histoire, maintenant… Il manquait plus que des enfants à la broche. N’exagérons rien, il ne s’agit que de livres sur les plantes.

Menthe, café, coca, guarana… Chaque soir, de chaque nuit, le petit garçon tentait une nouvelle recette pour prolonger les histoires. Mais à chaque fois, il s’endormait à la dernière phrase sans pouvoir rien faire…. Il en était sûr, le vieux avait un tour. Mais le petit garçon n’avait pas dit son dernier mot et échafauda un plan ! Cette fameuse nuit, oui oui, celle que je vous conte dans mon histoire, il allait le mettre à exécution. Il voulait faire semblant de dormir ! Logiquement, le vieux persuadé que le garçon dormirait s’en irait sans tour de passe-passe. Le petit se faufilerait alors dans son sac, monterait avec lui sur le chat volant (avouez que vous avez pris l’habitude de cette monture quelque peu surprenante, maintenant) et il profiterait alors de toutes les histoires, durant toute la nuit.

Donc… si on résume… Pour le petit garçon, un vieux avec des milliers d’années d’expérience, qui a vu durant sa vie passée des milliards d’enfants  (passons la crédibilité de l’âge du vieux, si vous le voulez bien) – donc, un vieux, expérimenté, capable d’endormir les enfants d’un simple tour, se laisserait aussi facilement berner ? Eh bien oui ! Sinon, mon histoire terminerait là et ça serait quelque peu embêtant.

Sarkabam berné, Morpheum sauta dans le sac. Le vieux avait déjà le dos tourné et, satisfait, ferma la porte en formulant sa phrase fétiche :

« Quant à moi, je me suis remis en selle et vous ai conté mon histoire telle quelle. »

Mais à qui parle-t-il, si les enfants dorment déjà ? Il la répète à chaque fois, cette phrase ? Chut… vous verrez bien…

Les deux acolytes qui s’ignoraient partirent dans le ciel étoilé. Maison après maison, le petit garçon était aux anges : bien caché dans le sac, il écoutait avec attention les contes du vieux. Fées, dragons, serpents et autre bestiaire fantastique s’animaient aux côtés des héros et des héroïnes. Il se délectait des histoires et des morales qui, chaque fois, le rendait plus sage encore…

À chaque fois, les enfants s’endormaient et le vieux fermait la porte avec sa phrase fétiche :

« Quant à moi, je me suis remis en selle et vous ai conté mon histoire telle quelle. »

Mais si le vieux faisait son tour à chaque enfant, logiquement, le petit garçon aurait dû s’endormir… Tout dépend de votre logique… peut-être qu’il ne le fait pas à chaque fois… peut-être qu’il a besoin de savoir à qui il le fait pour qu’il fonctionne… Mais ne m’interrompez plus. C’est n’est pas un élément central dans l’histoire…

Le petit garçon écoutait donc les histoires, une à une, et ne voyait pas le temps passer… Au fur et à mesure, il grandissait, apprenait des contes, et la sagesse le transformait tellement que Morpheum, sans s’en apercevoir, devint adulte…. Le problème, c’est que Sarkabam ne conte normalement plus aux adultes. Lorsque Morpheum s’en aperçut, il fut terrifié. Si le vieux s’en apercevait, c’en était fini des histoires ! Comment allait-il faire ? Et puis, il y avait un autre problème… eh ben oui… la petite maison rouge, au bord de la falaise, la maison de Morpheum, ne comptait en son sein plus aucun enfant, à présent… C’est ainsi, tout naturellement, qu’elle disparut de la liste de tournées du vieux. Impossible, alors, pour le petit garçon –  enfin l’homme, de rentrer chez lui…

Il y a aussi un autre problème, me direz-vous. Qu’un petit garçon se cache dans un sac, passe encore… Mais un homme adulte… on passera sur la crédibilité de l’histoire

Eh bien, une fois n’est pas coutume ! Je suis d’accord avec vous, et justement…

Une fois Morpheum grand, il ne fallut pas longtemps à Sarkabam pour s’apercevoir du subterfuge ! Il faut dire que le sac était devenu de plus en plus lourd et de plus en plus gros. Chaque soir de chaque nuit, le vieux peinait à le transporter. Le chat s’en était aussi aperçu, lui, bien avant le vieux d’ailleurs, mais comme un chat, ça ne parle pas (vous me direz, ça ne vole pas non plus), eh bien, il n’avait rien pu faire… ou plutôt, rien pu dire…

En ouvrant le sac (oui, c’était la première fois depuis des nuits, qu’il le faisait…) et en apercevant l’ancien petit garçon, Sarkabam devint rouge de colère !

« Mais qu’as-tu fait, petit morveux ! »

Ah là, tout d’un coup… vous commencez à changer votre vision du vieux, de tout gentil, il devient un peu aigri !… c’est normal… Je vous dévoile la fin, l’histoire finit mal… et il faut qu’elle se termine, d’ailleurs.

Le vieux rouge de colère regardait donc l’ancien petit garçon :

« Tu ne pourras plus jamais retrouver ta maison ! Tu ne pourrais plus jamais écouter mes histoires ! Tu resterais perdu dans les limbes, entre les rêves et la réalité, à jamais. »

Aussitôt, le vieux tourna le sac et Morpheum tomba. Il se releva, mais déjà le vieux était parti et fermait la porte.

*

La morale de l’histoire, à force de trop rêver, on en perd pied avec la réalité. Ou c’était peut-être le contraire ? Bref ! Dormez bien et à demain !

Quant à moi, je me suis remis en selle et vous ai conté mon histoire telle quelle.

Valérie Vuille

Photo : © Comfreak

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