Les réverbères : arts vivants

Tachycardie à la Bâtie

En ouverture du festival, la performance musico-sportivo-théâtrale One Song de Miet Warlop fait l’événement. Ce spectacle, auréolé depuis le In d’Avignon en 2022, dégage une puissance décoiffante grâce à douze athlètes de la scène qui impressionnent davantage qu’iels ne cherchent à intéresser le public. À chacun·e de trouver du sens dans cette explosion cathartico-symbolique de nos drôles de vies.  

Dans un décor mixant salles de sport et de musique et borné par un gradin pour quatre supporters et une coach, on trouve une violoniste sur poutre, un contrebassiste spécialiste des abdos, un claviériste marsupilamien, un derviche tourneur aux faux airs de Freddy Mercury, un chanteur-coureur pris au piège de la roue du hamster et un batteur qui n’a de cesse de nous faire croire que la chanson va finir alors qu’elle ne fait que bégayer (comme la vie ?) jusqu’à l’épuisement.

L’inclassable chorégraphe flamande Miet Warlop, adepte de l’absurde et du burlesque, signe ici le 4ème opus d’une série intitulée Histoire(s) du théâtre. La gageure, pour chaque élu·e de ce projet initié par le dramaturge suisse Milo Rau, consiste à créer une pièce qui synthétiserait l’ensemble de son œuvre. L’origine de One Song est ainsi à rechercher dans la détresse de Miet Warlop au moment du décès de son frère. Elle aurait alors cherché à dissoudre tout chagrin dans un concert rituel dansé jusqu’à la transe. Une tentative punk d’épuisement de la tristesse.

One Song peut être traversé comme un concert parabolique de l’existence. Dans le microcosme sociétal représenté sur scène, chacun·e a une place, une position, une hiérarchie. Chacun·e se débat et amène quelque chose à l’ensemble dans un mélange de joie, de souffrance, d’obstacles et de dépassement de soi. Tout cela rythmé par le Dieu métronome du temps qui passe, inexorablement. Il y a quelque chose de l’ordre d’un rituel, d’une messe collective païenne et jubilatoire. Car la question est là : les humains qui s’agitent sur scène sont-ils en train de créer quelque chose qui les rassemble ? Qui combattrait nos solitudes existentielles ? Un espace pour exorciser nos désirs, nos chagrins, nos frustrations ? Une sorte de grand carnaval moderne dans lequel musique et sport sont reliés par une surchauffe d’énergie chorale ?

C’est une performance audacieuse avec une précision d’ensemble très exigeante. Il y a quelque chose qui ressemble à un disque rayé qui sauterait indéfiniment en fin de morceau pour revenir au début. Le public est capté par cette célébration inédite d’une vie qui semble chercher dans cette exaltation obsessionnelle une consolation aux blessures du quotidien. Et tout se mélange. Performances sportives et artistiques s’agrègent dans des nuages de magnésie quand ce ne sont pas des spasmes d’eau tombés des cintres. Le chanteur comme les musiciens tournent en boucle entre foulées, abdos, extensions et figures sur poutre. La vibration obsédante et la cadence rock du groupe traversent la salle et ne laissent personne indifférent. Du plateau montent des vagues sonores et des performances physiques qui ravagent les sens jusqu’au dernier rang d’une Comédie bondée.

Mais qu’en reste-t-il une fois la fulgurance de la décharge électrique traversée ? Post coitum animal triste ? Oui, mais au moins, on peut imaginer que quelque chose nous permet de faire communauté, de trouver une certaine unité réconfortante dans la richesse de nos diversités. Et on est beaucoup, chaque année, à attendre le prochain Paléo…

Au final, le débordement d’énergie vitale qui jaillit de cette performance prend le pas sur le sens et l’intérêt qu’on peut y trouver au-delà du spectaculaire de l’entreprise. Bien sûr, en lisant après coup les papiers élogieux cet ovni artistico-sportif, on pourra faire des liens avec une certaine critique d’une société qui survalorise le paraître des corps, une mise en avant de l’individualisme où la recherche d’excellence pour une minorité se fait au détriment de la masse laborieuse qui nourrit le complexe du « je ne suis pas assez ceci ou cela ». Bien sûr. On pourra aussi comprendre que l’ensemble fait écho à des références peu accessibles au public lambda. Bien sûr. Serpent de mer de votre serviteur, se pose alors une nouvelle fois la question de la médiation théâtrale, de la nécessité d’avoir des clés pour comprendre ce qui se joue. En filigrane ressurgit encore et encore l’enjeu politique d’un théâtre populaire accessible au plus grand nombre versus une vision plus intellectuelle d’un art réservé à une minorité bien lotie. Qui frissonne quelque peu de la performance avant de regagner ses pénates de bobo.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

A la Comédie de Genève, dans le cadre du festival de la Bâtie, du 31 août au 2 septembre.

Texte, conception et mise en scène : Miet Warlop

Avec Simon Beeckaert, Stanislas Bruynseels, Rint Dens, Judith Engelen, Elisabeth Klinck, Marius Lefever, Willem Lenaerts, Luka Mariën, Milan Schudel, Melvin Slabbinck, Joppe Tanghe, Karin Tanghe, Wietse Tanghe et Flora Van Canneyt

Musique : Maarten Van Cauwenberghe et l’ensemble du groupe.

Photos : © Michel Devijver

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *