Les réverbères : arts vivants

Tant d’émois, tant d’attentes : temps d’introspection au cœur d’une famille

Ah mon enfant, je veux le meilleur pour toi ! Le meilleur ? Ah la performance ! Combien de termes encore glissent de nos bouches parentales et donnent cette amère impression de ne jamais être au top ? La poésie de l’échec en thématise quelques-uns, drôlement, et ce jusqu’au 24 octobre au théâtre Alchimic. – Une pièce, impossible à louper.

L’échec, mon loup

Évoquer l’échec n’est pas chose aisée : faut-il le dénigrer ? le craindre ? l’abhorrer ? l’inclure ? Marjolaine Minot, accompagnée par Günther Baldauf, décide d’évoquer l’échec dans une famille – autant dire qu’elle nourrit sa pièce de toutes les microfissures qui tapissent le fond des cœurs de beaucoup de grands-parents, parents et enfants. Et pourtant, la pièce aborde l’échec – ce mot tant redouté – avec une certaine légèreté ; les enfants (Florian Albin et Christa Barrett) et leur maman (Marjolaine Minot) glissent, se défont ou dansent (!) sur le canapé familial avec brio. Ouf, comme cela fait du bien.

Jour d’anniversaire de Maman… les loulous (ados) se sont occupés des préparatifs festifs, on se réjouit, on se frotte les mains, les objectifs sont atteints mais Maman s’en contrefiche royalement. Il y a à faire, il y a les résultats d’examens universitaires à vérifier, les cheveux du fiston à recoiffer, les plans d’avenir de la fillette à co-diriger. Point de temps pour des émotions autour d’un gâteau – cela serait… si banal ! Si le déroulement de l’histoire semble être gagné d’avance, que nenni ! Chacun·e des comédien·ne·s souhaite confronter l’un·e ou l’autre à l’échec dans sa vie, mais n’y parvient d’abord pas. Un peu comme la menace du loup. Si proche quelquefois et pourtant jamais vu, impalpable et impossible à identifier, à encercler.

Chaque comédien·ne endosse des rôles changeants avec grande facilité et peu d’accessoires – la petite fille, la psychologue, etc. – , ce qui montre bien que tous, vraiment tous, sont concernés par l’échec, celui d’espérer, d’attendre trop ou celui de ne rien dire lorsque cela dérange, heurte. On aime ces multiples perspectives, la pièce prend des pistes nouvelles et le gâteau des fautes est équitablement partagé. D’ailleurs, sur scène, le gros canapé à roulettes migre d’un coin à l’autre et illustre différentes pièces et/ou les variations des valeurs familiales.

Rebondir ou s’écrouler ?

Comme pour consolider cette approche plutôt ouverte de l’échec, le beatboxer increvable Julien Paplomatas accompagne les comédien·ne·s dans la fête qui n’en est pas une. Il scande des sons, il déplace l’intrigue dans différents contextes selon ses mélodies – jeu télévisé, évocation de repas de famille – et n’hésite pas à venir au beau milieu de tout ce petit monde, bien que personne ne le voie.

Et c’est ici que réside l’une des grandes forces de la pièce : Parler de ce monde intime qui se fait l’écho de nos blessures, celui qui réceptionne tous les coups, là où réside la fameuse boule au ventre, celui qui crie au secours en silence. Il habite chacun·e des comédien·ne·s et se manifeste différemment. Le fils aurait quelque fois envie de nager très loin face aux remontrances de sa mère, ou danser, glisser, ramper – et se met vraiment à le faire – comme TOUT est possible lorsque l’on y CROIT ! – ; la fille, quant à elle, souhaiterait s’écrouler afin qu’on la perçoive enfin et le FAIT. L’échec fait bouger. Hé oui, il n’écrase plus. On le craint donc moins… Gros appel du pied à celles et ceux qui redoutent les ratés dans la salle.

Échec, m’as-tu vu ou entendu ?

Ce deuxième monde, présent sur scène par intermittences et très nettement marqué par le beatboxer et les pauses précises des comédien·ne·s, est un clin d’œil à nos émotions, à ce coin sensible en nous qui vit au gré des sensations, belles ou… moins belles. Puis, malgré le thème plutôt lourd, les virevoltes physiques inattendues des enfants, surtout, provoquent l’hilarité. Car oui, l’échec touche, mais comment ? Que nous procure-t-il vraiment ? Et si l’on réagissait autrement que par une porte fermée, du mutisme ou de la musique à fond, la hargne ? Personnellement, je me verrais assez bien danser sur la table et inviter les autres potentiels ratés du tour de la table à en faire de même au prochain « Mais pourquoi avoir arrêté tes études ? » ou « Quoi, comment ? Tu n’es plus en couple ?! »

Le spectacle nous emmène d’une vulnérabilité à l’autre avec délicatesse, car il faut souligner là, entre autres, le travail d’orfèvre de Mirabelle Grimaud pour les chansons et les slams qui apparaissent de-ci de-là et donnent un tour hautement poétique au spectacle.

Dans cette quête ou – selon le personnage – cette indifférence face à l’échec, la pièce n’enfonce pas de portes ouvertes, elle laisse penser ce que l’échec signifie pour chacun de nous. Et le rôle qu’on lui attribue. Y-a-t-on à vrai dire une fois vraiment réfléchi ? Notre perception de l’échec n’est-elle pas qu’une petite répétition de ce que l’on aurait déjà vécu ?

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

La poésie de l’échec de Marjolaine Minot et Günther Baldauf au Théâtre Alchimic du 5 au 24 octobre

Mise en scène : Marjolaine Minot, Günther Baldauf et Camille Denkinger

Avec Florian Albin, Christa Barrett, Marjolaine Minot et Julien Paplomatas (beatboxer)

https://alchimic.ch/la-poesie-de-lechec-2/

Photos : © Ariane Catton

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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