Les réverbères : arts vivants

Tcheuuu, tu savais qu’le fils à Cheseaux il est parti en bricole ?!

Le Théâtre de l’Orangerie a eu la très bonne idée d’accueillir l’hyper-talentueux Emeric Cheseaux pour cette formidable Révérence à ses origines, à son village valaisan et surtout à sa mère aussi drôle que touchante. Comme un bon vin rouge, ce spectacle est un assemblage parfait entre humour et émotion, la générosité en plus.

On enterre Emeric. Du moins c’est ce que l’on croit de prime abord. Sauf que le curé nous annonce en fait que le jeune Cheseaux a décidé de partir du beau village de Saillon pour tenter une vie de bohème tout là-bas, au bout du lac, du côté de la Ville.

Tout de suite, on est saisi par la force d’interprétation du comédien qui campe avec brio un homme d’église d’autant plus drôle qu’il se prend au sérieux. Il va même jusqu’à faire entonner au public des chants à connotation religieuse avec une scansion qui crée le rire alors que le texte est tiré des Évangiles.

C’est donc Emeric Cheseaux qui joue la vie d’Emeric Cheseaux. Qui a la drôle d’idée de ne pas vouloir construire sa maison à côté de celle de ses parents. Qui n’est pas trop attiré par l’idée de travailler à la vigne. En fait, qui ne veut pas d’un vrai métier. Car il s’est mis en tête de ne pas gagner un rond en faisant du théâtre.

Alors sa maman organise une petite fête pour son départ. Avec force vin rouge, jus d’abricot de chez Rico et croissants au jambon. Elle s’affaire, s’agite, a envie que tout soit parfait quitte à paraître un peu… pinailleuse. Emeric est impressionnant dans les manières verbale et gestuelle avec lesquelles il campe sa mère. Il en fait un personnage central de son odyssée personnelle, sur une ligne de crête entre la mamma sicilienne et une madone universelle, nous montrant d’abord ses défauts pour finalement être ébloui par sa quasi-sainteté.

Car tout le spectacle peut s’interpréter comme une révérence à sa mère et à tout le village. Au sens d’un hommage aux origines d’un jeune homme en quête d’identité professionnelle, artistique… et peut-être sexuelle. C’est du moins ce que laisse entendre sa tremblotante grand-mère qu’Emeric joue avec le fantôme de Zouc par-dessus son épaule. Une vieille dame gardienne des traditions valaisannes qui a bien du mal à comprendre les tentations citadines qui pervertissent notre belle jeunesse vigoureuse (quoique sous le débardeur, on ne peut pas dire que ce soit Musclor…).

Les invité·e·s de la fête composent ainsi une galerie de personnages magnifiquement bigarrée. Et on devine chez le Sieur Cheseaux un plaisir continu de passer de l’un à l’autre. Des portraits drôles, touchants et profondément humains, des figures qui ont peuplé ses jeunes années et qui lui permettent aujourd’hui d’assumer sa différence.

Pour ne pas tout dévoiler (car, vous l’avez compris, il faut absolument aller voir ce seul-en-scène), donnons seulement un bref aperçu de quelques autochtones de par chez lui. Commençons par la sœur qui ne se déplace pas sans son bébé hurleur sauf quand elle le fait tomber… Continuons par le vigneron du coin qui fleure bon le philosophe UDC en montrant ses pognes calleuses comme preuve de la masculinité… Et finissons par le chef de la chorale du village qui pense qu’Emeric lui doit à peu près tout ainsi que le reste.

On est bluffé par le naturel déconcertant avec lequel notre artiste imite tout son petit monde sur une scène qui n’a que quelques cagettes à raisin comme seuls éléments de décor. Il n’a rien besoin d’autre, chaque accent, chaque phrasé, chaque mimique nous convaincant d’autant plus que la justesse du texte permet aux personnages d’éviter d’être leurs propres caricatures. Et l’oralité de l’ensemble rend hommage au parler local puisque la majorité des phrases ne se finissent pas ou se terminent par ou quoiou bien… ce qui prouve sans contestation possible que nous sommes face à un vrai valaisan.

Mêlant anecdotes drolatiques et souvenirs personnels, l’autofiction d’Emeric Chezeaux nous tient ainsi en haleine du début à la fin… qui s’avère être une fausse fin… et une vraie bonne idée d’écriture et de mise en scène, nous n’en dirons guère plus… si ce n’est que le subterfuge permet à Mme Cheseaux mère de terminer le spectacle cigarette au bec (elle qui interdit à sa progéniture de fumer…) dans une formidable tirade humaniste qu’elle laisse en héritage à son fils pour que celui-ci puisse tracer son propre chemin : Sois généreux, Emeric, donne l’amour que tu as reçu. Et si les autres n’en ont pas autant que toi, sois tolérant… et sers-leur un verre de vin rouge. Amen.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

La Révérence, de et avec Emeric Cheseaux, au Théâtre de l’Orangerie, le 23 et 25 août 2024.

https://www.theatreorangerie.ch/events/la_reverences

Voir les prochaines dates du spectacle sur le site de l’artiste.

Photos : © Andrea Seggler

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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