Les réverbères : arts vivants

Traverser une guerre mondiale comme un pantin

Une vieille dame d’origine allemande raconte ce que fut sa vie. Née en 1911 à Berlin, Brunhilde Pomsel décéda à l’âge de 106 ans. Elle fut témoin des hautes sphères nazies. L’actrice Judith Magre incarne ici le rôle d’une des secrétaires de Joseph Goebbels, un des proches d’Hitler et chef de la propagande du parti nazi, dans un monologue ambigu et dérangeant.

Brunhilde était entourée de ses frères, elle était la seule fille et l’ainée de sa famille. Adolescente, elle quitta l’école à 15 ans pour aller travailler. Son premier amoureux se nommait Heinz et écrivait des articles de propagande pour le parti. Elle le suivait dans ses réunions du parti. Brunhilde travaillait le matin chez un employeur juif quand on lui a proposé un poste auprès d’un nazi pour complémenter son temps partiel. Dans son récit, elle mentionne le nazisme avec détachement tout en continuant de détailler le fil de sa vie.

Puis elle alla travailler à la radio. Elle adorait ce poste qui était bien rémunéré. Son patron lui proposa de s’inscrire au parti, elle acquiesça. Dans le cadre d’une inauguration, elle rencontra Goebbels qu’elle décrit comme froid et terrifiant, un nain dément qui glaçait les gens. Et tout d’un coup elle affirme : « Beaucoup de choses se sont améliorées avec Hitler, les jeunes se sentaient bien ». Et elle continue son récit en disant que les juifs émigraient beaucoup à cette époque, qu’ils étaient envoyés en rééducation dans les camps, les homos également…  « En rééducation » rien que ce mot aurait dû la questionner, eh bien que nenni. Comme si c’était, normal presque anodin. Son ton de voix est monocorde, elle semble dénuée d’émotion et de sensibilité. Parfois, son discours devient plus vivant et est même teinté de pointes d’humour, qui ceci dit ne font pas rire le public car nous assistons à un récit qui nous dérange, nous trouble.

Un jour dans la presse, elle lut un article qui citait des noms de victimes du nazisme. Cela lui donna matière à réflexion mais sans plus. Et elle dit : « L’Allemagne est un gigantesque camp de concentration ». Ses voisins juifs disparurent petit à petit. Lors d’un discours de Goebbels où elle assistait, il fit dire à son auditoire. « Oui nous voulons la guerre totale ». Cette dactylo raconte qu’il forçait les gens à mentir. Elle mentionne avoir dû fausser des statistiques. Et que finalement, seuls les hauts placés savaient vraiment ce qu’il se passait dans le IIIe Reich, une manière pour Brunhilde de se dédouaner, de se voiler la face ? Elle était apolitique certes mais une femme non dénuée d’intelligence. A-t-elle vraiment tout oublié comme elle le prétend au début de sa biographie orale ? L’objectif de Christopher Hampton n’est pas de nous faire comprendre si Brunhilde Pomsen est coupable ou innocente. Elle a été témoin de certains faits à travers les documents qu’elle rédigeait et lisait mais elle occupait un poste de dactylo, qui ne prenait pas de décisions stratégiques. A considérer également que c’est à 102 ans qu’elle a livré son témoignage et que certainement sa mémoire ne devait plus être très fraîche. L’auteur nous laisse ainsi tirer nos propres conclusions.

Par la suite, elle travailla au Ministère de la Propagande mais elle prétendit ne savoir que bien peu de ce qu’il se passait au niveau politique. À l’aube de la fin de la guerre, son patron se suicida après avoir tué sa famille. Elle fut interrogée et incarcéré pendant 5 ans, à Buchenwald, Hohenschönhausen et Sachsenhausen. En 1950 on la libéra. Le monde avait changé, les communistes étaient au pouvoir, il y eu le Procès de Nuremberg. Et là elle avoua avoir enfin compris ce qu’il s’était passé dans les camps de la mort, les prisonniers gazés, les conditions d’emprisonnement. Tout au long de sa période professionnelle au Ministère, elle prétendit avoir ignoré ces faits.

Brunhilde cite : « Il n’y a pas de justice dans la vie ni dans le service judiciaire. Je ne pense pas avoir fait quelque chose de mal car je ne savais rien. Je n’avais pas le choix ! Vous ne pouvez pas me faire sentir coupable ».

Ce témoin et cette collaboratrice du Ministère de la Propagande finit sa narration en nous parlant de sa maison de retraite, où elle se tenait à l’écart des autres en disant qu’« elle souhaitait continuer les gentilles conversations avec nous ». Ces derniers mots montrent à quel point, elle est cynique, ou alors qu’elle vivait en dehors de la réalité, ou dans le déni.

Judith Magre avec beaucoup de charme interprète Brunhilde Pomsel du haut de ses 95 ans, une magnifique comédienne dans une belle performance. On ne peut s’empêcher de se demander comment elle a vécu ce rôle qui n’a pas dû être facile à tenir. Après avoir découvert la pièce, cela reste un mystère. Ce que l’on peut constater c’est que sa version en tant que conteuse est fidèle au récit de Brunhilde dans le documentaire de 2016, où la berlinoise déclame : « Je peux comprendre ce que j’ai fait de mal mais il ne s’agit absolument pas de soulager ma conscience ».

On retrouve dans cette pièce de théâtre une question fondamentale qui a été traitée maintes fois : sur quelles bases peut-on déclarer qu’une personne ayant côtoyé de près les nazis est coupable ou non ?

Je me demande même si le but ici n’est pas juste de prendre acte de ce que cette femme a vécu et a à nous raconter, de recevoir ce récit comme la biographie d’une vieille dame et de constater les faits sans jugement. À méditer…

Valérie Drechsler

Infos pratiques :

Une vie allemande, de Christopher Hampton du 26 au 30 avril 2022 aux Amis musiquethéâtre

Mise en scène : Thierry Harcourt

Avec Judith Magre

Photo : ©  Lot

Valérie Drechsler

Le cœur et l’esprit de Valérie vibrent au rythme des découvertes de créations artistiques ; théâtre, danse, musique, cinéma, beaux-arts. Née dans le monde culturel, elle a étudié les arts, y travaille et cultive cette richesse qui sans cesse appelle à être renouvelée.

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