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Un livre, des critiques… Cascade (Craig Davidson)

Aujourd’hui, nous vous proposons plusieurs critiques consacrées au même ouvrage : Cascade, un roman de Craig Davidson.

Ces critiques ont été produites dans le cadre de l’Atelier d’écriture du Département de langue et littérature françaises modernes de l’UNIGE (Université de Genève). Signées par Angela Allemand et Oscar Guerra, elles sont l’occasion d’avoir des regards croisés sur le même ouvrage. Bonne lecture !

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Sodome et Gomorrhe cinématographique

Nouvelles. Craig Davidson, acclamé pour Un goût de rouille et d’os, adapté au cinéma par Jacques Audiard, présente actuellement un nouvel ouvrage comprenant sept nouvelles rassemblées sous le titre Cascade. Cataract City, le lieu où se déploient ces récits, est une cité fictive à la frontière du Canada et des États-Unis, où le bruit des chutes du Niagara forme l’arrière-plan sonore de la trame narrative. Une décharge de déchets toxiques, baptisée ironiquement Love Canal District, infuse son poison dans la vie des protagonistes. « Et la boue toxique était remontée. On continuait à construire des maisons. Des écoles. Les enfants sautaient dans des flaques laissées par des barils de produits chimiques perforés. » (p. 48)

Famille victime d’un accident de voiture sur une route gelée, vétérans de l’Irak tentant de se réintégrer dans la société, joueurs de basket-ball professionnels qui dérapent, frères jumeaux victimes de leur relation toxique, travailleuse sociale face au mal ordinaire, chirurgien au corps dissymétrique et pyromane messianique : ces nouvelles dures, souvent morbides, frôlent le voyeurisme malsain. On pourrait reprocher à l’auteur de s’être servi de Cataract City comme d’une ville substantifiant la misère humaine, dans la veine de Sam Levinson et de sa série Euphoria.

Le parallèle cinématographique est également à rapporter à l’écriture qui, par ses descriptions précises et évocatrices, crée des images mentales très prégnantes, laissant ainsi imaginer des séquences qui, en cas d’adaptation, se révéleraient sans doute marquantes à l’écran. Cela dit, Davidson ne manque pas de finesse et son style entremêle volontiers descriptions frontales et état des lieux sensible de la condition humaine. L’ouvrage, dans sa construction, semble tendre vers le roman en devenant un objet global qui offre un final flamboyant. En témoigne le dernier texte, qui paraît répondre aux drames précédents en faisant payer le prix de ses « péchés » à cette ville perdue, comme en écho à une Sodome et Gomorrhe moderne.

Angela Allemand

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Chirurgie Littéraire

Quand il écrit, Craig Davidson ne se munit pas d’une plume – mais plutôt d’un scalpel. Dans son dernier recueil de nouvelles, Cascade, tout comme dans ses précédents succès (Un goût de rouille et d’os, 2006 ; The Saturday Night Ghost Club, 2018), Craig Davidson développe une esthétique chirurgicale. Il nous fait pénétrer, par une précision lexicale aiguisée, dans l’esprit et les entrailles de plusieurs personnes : une mère menant un combat contre la mort pour sauver son bébé des griffes d’un no man’s land glacial ; un ancien Marine marqué par son service en Irak, liant une relation ambiguë avec la fille de l’un de ses confrères militaires ; un ex-joueur NBA qui, après un séjour en prison, revient sur le parquet pour tenter de transmettre sa passion…

Pour l’auteur canadien, ces récits semblent servir de table d’opération sur laquelle il dissèque l’expérience humaine. Cette opération conduit à une mise en lumière de notre vulnérabilité, incarnée dans la chair des personnages ; chaque corps a ses stigmates, chaque esprit ses traumas. Cette notion de vulnérabilité apparaît également dans les choix narratifs : plus d’un récit se termine de manière abrupte, laissant en suspens une action inachevée ou un événement en devenir, rappelant ainsi notre propre incertitude quant à no(tre)s futur(s).

Ces fins ouvertes, associées à un style dense, pourraient rapidement vous submerger… mais si vous avez le courage de pénétrer dans le bloc opératoire avec Craig Davidson, la lecture de Cascade vous garantit une expérience marquante au cœur des profondeurs de l’âme humaine.

Oscar Guerra

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Vous souhaitez découvrir d’autres textes produits dans cet Atelier ? N’hésitez pas à vous rendre dans nos pages numériques… et à découvrir une sélection-florilège sur L’Exultoire (le site de l’Atelier).

Référence :

Craig Davidson, Cascades, Traduit de l’anglais (Canada) par Héloïse Esquié, Ed. Albin Michel, 2023, 256 p.

Photo : © Margaux Gloor

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