Les réverbères : arts vivants

Un spectacle complètement Perchée

Le collectif CCC et Mathias Brossard s’emparent du Baron Perché d’Italo Calvino, pour en proposer une revisite complètement déjantée et adressée au jeune public, sur fond d’écologie. C’est à voir jusqu’au 18 mai dans le Parc de la Mairie de Vandœuvres, en collaboration avec Am Stram Gram et la Comédie de Genève.

Quatre complices débarquent en courant et à vélo, au pied de Luna, le cèdre dans lequel aurait selon eux vécu Cosima, l’héroïne du livre que Loïc (Loïc Le Manac’h) tient entre ses mains. Si Cécile (Cécile Goussard) a surtout retenu la volonté de Cosima de défendre les escargots, Loïc, Mélina (Mélina Martin) et Alenka (Alenka Chenuz) évoquent plutôt le conflit avec ses parents duquel tout est parti. Cosima, donc, s’est installée dans cet arbre en guise de protestation, et finira par y vivre, retrouvant une forme de liberté qu’elle ne connaissait pas au sein de sa famille. Le quatuor raconte donc cette histoire, un peu à sa sauce, en retenant certains personnages du roman, comme Biagio, le petit frère, Viola, la voisine, ou Gian dei Brughi, le brigand. D’autres personnages et romans viendront également étayer cette histoire, comme Julia Butterfly Hill, qui s’est opposée à la destruction d’une forêt de séquoias géants en restant dans l’un d’entre eux pendant deux ans. Un séquoia qui se nommait d’ailleurs Luna…

En quête de liberté ?

Dans l’œuvre originale, Cosimo, devenu donc Cosima dans cette adaptation contemporaine, veut prouver le vrai sens de la liberté et de l’intelligence aux adultes, à qui il reproche un manque de folie, tout en explorant un autre rapport à la nature. Ce dernier aspect est particulièrement exacerbé dans l’imaginaire du collectif CCC. D’abord, le spectacle est joué en extérieur, dans un vrai arbre, et dans le respect de celui-ci, avec une attention toute particulière portée au fait de ne pas le blesser. Le fait que Cécile insiste sur la protection des escargots – qui n’est qu’un point de départ dans le roman, s’agissant de la nourriture qu’elle refuse d’avaler avant de grimper dans l’arbre – ajoute encore à cet aspect. Sans compter les banderoles déployées par les artistes, utilisées comme nappe ou pour certaines transitions. L’aparté, si on peut l’appeler ainsi, autour du roman De sève et de sang de Julia Butterfly Hill, vient évidemment contribuer à la dimension écologique de Perchée.

Le texte original datant des années 50, il fallait évidemment le remettre au goût du jour, d’où le développement de cette thématique et le choix de faire du héros une héroïne, pour offrir un autre modèle, éloigné de certains stéréotypes, aux jeunes filles. Une fois cela posé, ce qui nous frappe et nous amuse, c’est la folie qui se dégage de ce spectacle. Les quatre comédien·ne·s du jour – trois quatuors jouent en alternance – amènent quelque chose de complètement déjanté dans le propos. On retrouve plusieurs accents hilarants et (volontairement ?) pas toujours réussis : allemand pour la mère, anglais pour la voisine Viola, américain pour les promoteurs de la Pacific Lumber qui veulent abattre Luna… On notera aussi les jolies trouvailles, comme cette utilisation du porte-voix par Loïc Le Manac’h pour illustrer l’hélicoptère, le changement de la fin de l’histoire de Gian, le bandit, ou encore l’utilisation d’appeaux au moment d’évoquer les oiseaux. L’impressionnante énergie qui se dégage de la troupe permet une touche d’humour qui ne s’adresse pas qu’aux enfants, mais fait de Perchée un spectacle grand public.

Éloge de l’art

On peut décrire Perchée comme un spectacle d’art vivant par excellence. Sans électricité, et donc sans sonorisation ni lumières, la pièce joue sur les qualités de ses acteur·ice·s : il faut projeter sa voix correctement, travailler sa gestuelle pour qu’elle colle au propos. En jouant ce spectacle en plein air, on fait aussi face aux aléas : un passant qui débarque au milieu du chemin, un chien qui aboie, des conditions météorologiques changeantes… Le collectif doit donc constamment s’adapter et évoluer avec tout cela. On en revient alors à une sorte d’essence du théâtre, avec ce jeu en extérieur.

De jeu, il en est vraiment question, tant on perçoit le plaisir de l’équipe à présenter son histoire, avec toute la naïveté qui caractérise aussi les jeux d’enfants. En témoigne toute l’inventivité des bruitages : pour symboliser les moments de grandes tensions, on fait tourner les roues du vélo, on tape sur le cadre avec des clés, ou on joue avec une chaîne et une scie, frottées sur une brouette pour créer des sons plus angoissants. L’accent mis sur le personnage de Gian dei Brughi, absorbé par ses lectures, nous évoque aussi une forme d’éloge de la littérature, symbolisée par la volonté de sauver cet être qui aurait dû finir pendu. Avec Perchée, le collectif CCC nous offre ainsi une ode aux arts, mais aussi à la vie toutes ses formes, qu’elle soit humaine, animale ou végétale.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Perchée, du collectif CCC, d’après Le Baron perché d’Italo Calvino, les 2-3 mai, puis du 4 au 7 juin 2025 au Théâtre Vidy-Lausanne, du 9 au 18 mai 2025 dans le Parc de la Mairie de Vandoeuvres (avec le Théâtre Am Stram Gram), le 28 juin 2025 aux Scènes croisées de Lozère, et du 30 septembre au 3 octobre 2025 à Château-Rouge.

Mise en scène : Mathias Brossard

Avec quatre interprètes (en alternance) : Diane Albasini, Alenka Chenuz, Cécile Goussard, Magali Heu, Arnaud Huguenin, Jean-Louis Johannides, Lara Khattabi, Jonas Lambelet, Loïc Le Manac’h, Chloë Lombard, Mélina Martin, Margot Van Hove

Création musicale : Alexandre Ménéxiadis

Création costumes : Marie Romanens

Apports scénographiques et constructions : Mathilde Aubineau

Illustrations et conception du fanzine : Alice Barbosa

Assistanat et dramaturgie : Piera Bellato

Régie générale et logistique : Achille Dubau

Référent technique escalade dans les arbres : Xavier Dejoux

Administration : Marianne Aguado – ISKANDAR

https://lafilialefantome.com/spectacles/perch%C3%A9e/

https://www.amstramgram.ch/fr/programme/perchee

Photos : ©Arya Dil

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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