Les réverbères : arts vivants

Un spectacle parfait

Mon amour, tu sens comme nos cœurs palpitent ? La Comédie est l’écrin d’une pépite signée Tiago Rodrigues, Chœur des amants, une quintessence poétique de l’amour qui transcende le temps. Un enchantement absolu. On aimerait tant que notre vie ressemble à celle du couple sur scène. Et si cela ne tenait qu’à nous ?

« Ce s’rait un spectacle parfait, un truc profond, pour tous les gens d’la planète, mettons. »[1] Les paroles à peine touchées de la chanson de Souchon redonnent très bien le sentiment avec lequel on ressort de cette heure de douceur vécue grâce aux deux comédien·ne·s Alma Palacios et David Geselson, incroyables de complicité, d’honnêteté et d’humanité. Frisson permanent.

Rares sont les spectacles qui procurent une telle dose d’émotion pure. La question est simple : De quoi est faite une vie ? De l’amour. Et de quoi est fait un amour ? De tout ce qui fait la vie. À commencer par les accidents. On est là, sous la couette, dans les bras de son amant·e, à somnoler devant Scarface. On a le temps. Un moment de petit bonheur quotidien. Et tout à coup, l’un·e de nous se sent mal, n’arrive plus à respirer. Crise d’angoisse. Non. Ventoline. Non. Ça va passer ? Non. Alors tout s’accélère. Pneus qui crissent dans la nuit. Pouls qui faiblit. Urgences. La vie de l’un·e de nous va s’arrêter. On n’a plus le temps.

L’autre, dans la salle d’attente, commence alors à nous raconter l’histoire de leur amour. Notre rencontre dans un café. Tu avais un manteau rouge. Je faisais du théâtre. Tu m’as senti fragile. Je t’ai trouvée forte. Tu t’es dit que cela allait être compliqué. J’ai posé ma tête sur ton épaule.

Alors l’amour et sa vibration qui donnent du sens à tout ça. L’amour et le temps qui passe. Le temps, pas l’amour. S’aimer quoi qu’il advienne, jusqu’au dernier souffle. Et même au-delà. On a le temps, justement.

La vie de l’un·e de nous ne s’arrêtera pas ce soir-là. C’était juste un accident de la vie. Un prétexte pour raconter à deux voix délicatement entremêlées l’épopée extraordinaire d’un amour ordinaire. Le texte, ciselé par le génial Tiago Rodrigues, est à lui seul une danse de l’amour tant chaque mot, chaque phrase se glisse comme autant de notes de musique qui rythment la partition du Chœur des amants. Loin des dialogues classiques, la chorale composée par les deux acteur·ice·s fait la part belle à un hymne amoureux scandé tantôt à l’unisson, tantôt en canon mais toujours avec une musicalité qui rappelle le bref battement de nos petits cœurs pris dans le temps long de l’âme du monde.

La vie d’un couple. Un couple dans la vie. Quoi qu’il arrive. On s’aime. Et ton souffle est mon sang. Et mon sang est ton souffle. Alors on fera tout. Ensemble. Même être d’accord de ne pas être d’accord. On a le temps. Moins pour les futilités, plus pour relativiser. Il y aura des crises, des enfants, des moments de silence où on se sourira juste en buvant un verre de vin. Il y aura des balades en forêt, dans les vignes du Lavaux, des soirées au théâtre, des grasses matinées comme des vacances. Et il y aura le temps. Qui te rend belle. Parce que c’est toi et ce que tu es pour moi.

Et tout cela, sur scène, est illuminé par autant d’étoiles de tendresse qu’il y a de copeaux de bois sur le plateau. La tendresse comme le ciment de l’histoire de ces deux vies qui n’en font qu’une. Ces deux âmes magnifiques qui nous touchent au cœur jusqu’à nous faire venir les larmes aux yeux. Oui, la tendresse comme remède à tout. Merci.

Alors ils vieilliront main dans la main, retourneront sous la couette, s’endormiront à nouveau devant Scarface. Quand Tony Pacino vit son rêve américain et avant que cela ne finisse en eau de boudin. Ne surtout pas voir la fin du film. On a le temps. Alors on vieillira ensemble. Et il y aura des petits enfants, une nouvelle maison, plein de nouveaux printemps… et nos cheveux, beaux d’être blancs. Et quand le temps sera venu, on retournera à la terre. Humus des forêts sur lequel nos enfants feront l’amour. Avec l’écho du poème d’Aragon : « Il y aura toujours un couple frémissant pour qui ce matin-là sera l’aube première. Il y aura toujours l’eau, le vent, la lumière… »[2]

Le texte de Tiago Rodrigues est si puissant d’être si simple. Tout est clair, tout parle, tout résonne. C’est saisissant de vérité, sublime de poésie ordinaire. Ce qui se joue là, sur ce plateau quasi-nu, c’est juste le cœur de ce à quoi chacun·e d’entre nous aspire : aimer, être aimé. Et faire de l’amour le voyage de la vie. Alors la gratitude nous envahit : pour la magie du théâtre, pour dire merci à la vie. Et pour toi, mon amour.

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

Chœur des amants, de Tiago Rodrigues, du 12 au 15 octobre 2023 à la Comédie de Genève.

Mise en scène : Tiago Rodrigues

Avec David Geselson et Alma Palacios

Photos : © Filipe Fe et Patricia Leïva

[1] https://www.youtube.com/watch?v=8qHdvy7llsc

[2] https://www.wikipoemes.com/poemes/louis-aragon/que-la-vie-en-vaut-la-peine.php

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

2 réflexions sur “Un spectacle parfait

  • M. Demeure Claude

    Bonjour.
    Je lis assez fidèlement les critiques et commentaires publiées par votre Pépinière et vous remercie pour le travail que vous accomplissez.
    J’ai moi-même beaucoup apprécié ce « Choeur des amants » présenté à la Comédie et l’ai chaleureusement recommandé à nombre de mes amis et connaissances avec la conviction qu’il faut constamment soutenir le théâtre.
    Une chose néanmoins me laisse perplexe dans votre démarche : nombre de critiques sont publiées une fois le spectacle terminé ! C’est aussi regrettable que frustrant… Dommage.
    Meilleures salutations.

    Répondre
    • La Pépinière

      Bonjour Monsieur,

      Merci beaucoup pour votre message, qui nous fait chaud au cœur !
      Concernant les publications après la fin des représentations, nous tenons à souligner que nous sommes toutes et tous bénévoles au sein de La Pépinière, avec chacun et chacune un autre métier et d’autres obligations à côté de notre activité de critique. Nous ne pouvons pas, malheureusement, au contraire de médias professionnels, publier nos critiques dès le lendemain de la représentation. Nous faisons tout pour les publier entre deux et quatre jours après le spectacle, mais cela demande toujours un temps d’écriture, de relecture et de mise en ligne, ce qui prend forcément plus de temps, en-dehors de nos activités professionnelles. Lorsque les spectacles, comme celui-ci, ne durent que 4 soirées, cela devient compliqué de publier avant la fin.

      Meilleures salutations,

      Le comité de la Pépinière

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *