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Une Heure Juste Avant Le Ciel : Baron.e

Dans ce premier épisode de la chronique « Une Heure Juste Avant Le Ciel », j’ai rencontré Arnaud Rolle et Faustine Pochon du duo « Baron.e ». Ce duo Fribourgeois formé en 2019 connaît un certain succès en Suisse romande avec des mélodies rythmées et des paroles sur l’anxiété d’une génération tout entière.

5h47. Je traverse Fribourg avec un paquet de biscuits Kambly sous le bras. Il y règne une étrange atmosphère, à mi-chemin entre fêtes de Noël et prémisses de printemps. Il fait encore nuit, brouillard léger sous les lampadaires, dans les rues pas un chat. Quelques fêtards ont fait tard et ne rentrent que maintenant, sinon, pas un chat. Une heure juste avant le ciel, j’arrive à l’appartement de Faustine Pochon, chanteuse du groupe Baron.e. C’est Arnaud qui m’ouvre, il a l’air fatigué. Nous nous installons dans le salon. Sur la table basse, on a préparé du café, du thé à la cannelle, des cookies et des quartiers de pomme. J’y pose mes Kamblys. C’est des biscuits qui ressemblent à des bricelets, qu’il faut casser au creux de sa main et qui, s’ils se cassent en trois morceaux, permettent de faire un vœu… Enfin bon.

Même si ça se voit, je demande, pour la forme, si le réveil a été difficile. Faustine baille. Ils me disent que oui, assez, mais quand il faut il faut. Et Arnaud raconte :

– Moi j’avais une sensation de rentrée de soirée, et des images…un peu des flashs parce que c’est pas vraiment les heures où tu te souviens bien…et puis j’ai vu des gens rentrer de soirée et j’étais là « putain c’est vraiment un autre monde en fait ». Deux mondes qui se croisent comme ça…

– Mais tu vois, enchaîne Faustine, quand je rentre de soirée à cinq heures, je me sens un peu comme une merde — fin, ça dépend de la soirée mais voilà — et là je me sens un peu… privilégiée.

Si Baron.e se racontait en réveils ? Celui du matin d’avant, le matin d’après. Le stress, la redescente ? Le jour J, souvent partir assez tôt, ou suffisamment pour ne pas se laisser dormir. Faire ses affaires, avoir peur d’en oublier. Arnaud vient chercher Faustine. La scène est un voyage qui débute à l’aube. Puis les étoiles, Faustine raconte la scène comme une vague (une « méga vague » pour reprendre ses mots). Oui, une « vague qui te prend et qui est là : allé coco on y va ! » me dit-elle. Comme un détachement, un tourbillon, un gros bordel dans sa tête. Arnaud la raconte comme une boule d’énergie, une ivresse. Voir les choses par éclairs, garder quelques images. Savoir quand ça commence, et après… après c’est les étoiles. La nuit. Puis, le matin, celui d’après. Comment le réel les cueille-t-il ? Comme un nid, comme une claque ? Encore une fois, double vision. Elle, c’est comme si elle avait deux vies et que sa vie principale était une vie de casanière ; elle aime être à la maison avec son chat et voit l’exil vers la scène comme une sortie de sa zone de confort. Les lendemains sont sublimés par l’euphorie de la veille. Lui, c’est parfois plus difficile, de revenir. Je me demande, si les artistes étaient des chauves-souris, laquelle ils seraient. Est-ce que Faustine serait un « Batman » ? Deux vies? Un ancrage dans chacune d’elles ? Est-ce que Arnaud serait un « Dracula » ? Un jour voué à la nuit ? Je ne sais pas, c’est une idée.

Leurs différences se réunissent sur un socle culturel commun. C’est un peu ça, au fond, la musique. Parvenir à communiquer, trouver un terrain d’entente, de jeu, malgré des vies et des caractères différents. Lui a grandi avec quatre frères, elle avec cinq sœurs. C’est ce qui donne lieu à l’hybride dans leur musique, me dit Arnaud. Elle préfère la scène, lui le studio. Elle aime l’odeur des salles de concert, celle qu’on ne sent pas pendant les concerts ; celle du plateau en travail, des répétitions, des techniciens. Lui aime sortir du temps, écouter en boucle, vibrer ; qu’une recherche sonore aboutisse à une trouvaille, de bout en bout créer. Sur scène, leurs présences se démarquent l’une de l’autre. Elle, le corps en mouvement, lui plus réservé. Timidité affirmée que certains lui conseilleraient d’abandonner au profit d’une tenue plus enjouée. Mais à quoi bon jouer les cheerleaders ? Un peu distant, le regard fuyant, il se meut dans une danse plus implicite, penché sur sa guitare. L’énergie est là, sous toutes ses formes. Et le public la reçoit.

D’ailleurs…

Bruit de paquet de biscuits. Faustine essaye de casser un des Kamblys que j’ai apportés. Le place dans le creux de la main, tapote avec le doigt jusqu’à ce qu’il se brise en…quatre morceaux. Oh non !

Elle est assise à même le sol devant la table basse. De l’autre côté, en face, Arnaud et moi sur un canapé. Lui et moi tournons le dos à une grande fenêtre, Faustine est la seule à voir paraître progressivement le jour.

Enfin. Et le public ? N’est-ce pas fascinant d’imaginer leur musique comme partie intégrante d’existences inconnues ? Imaginer que des gens s’aiment sur leur musique ? Imaginer que des gens se réveillent, voyagent, vont de l’avant en les écoutant ?

– J’espère que certaines de nos chansons ont pu marquer vraiment quelques personnes. Tu sais, cette chanson que tu écoutes après une rupture et que… tu peux l’écouter toute ta vie, les premières notes elles vont te mettre un couteau dans le bide. Ou, au contraire, un truc joyeux aussi. Mais vraiment qui te ramène à un truc sentimentalement fort qui devient corporel, me répond Faustine.

Et puis, ce matin, oui, mais après ? La suite ? Vers quel horizon est tourné leur réveil ?

Un nouveau single, un nouvel EP prévu pour le 7 avril. Arnaud se met à rapper. Un ensemble de chansons… bariolées, distinctes les unes des autres. Plein d’univers semblent s’y entrechoquer, comme les rencontres saugrenues qu’on fait à l’aube : j’entends trap, disco-rock, auto tune, punk, instrumental, électro… Et au milieu de cette polychromie sonore, une ville, Paris. Un an à Paris. Se consacrer entièrement à leur art. Et cette phrase de Faustine qui me fait beaucoup rire :

– Donc voilà, ça va être une année assez riche pour nous… euh, pauvre, mais riche.

Pour ajouter ensuite :

– Ce sera la vie d’artiste, la vraie.

Quand nous nous sommes installés, la fenêtre derrière moi affichait nuit noire. À présent il fait jour. Je désactive l’enregistreur. La fatigue s’est quelque peu dissipée, le soleil nous a réveillés — cette fois-ci vraiment. Je finis mon thé cannelle. Je les remercie.

Après la porte, les escaliers, la ville. Comme un ciel de fumée gris-bleue. Dans les écouteurs, Arnaud qui dit « Je vois l’avenir comme un grand nuage / J’ai peur du passé, peur de tourner la page / J’ai le sourire aux lèvres et le cœur dans une cage ». Silence. Batterie-basse reprennent. Un pas devant l’autre, je disparais de l’autre côté de la ville. Une heure juste avant le ciel à se raconter les choses, faire des vœux sur biscuits et revenir au jour, inexorablement. Comme danser.

Luca Leone

Baron.e sortiront un Ep le 7 avril prochain. Côté scène, ils se produiront le 29 avril à Fri-son (Fribourg). Côté Seine, on les retrouvera au Point Éphémère de Paris le 14 avril prochain.

Photo : © Laureat Bakolli

Luca Leone

Luca Leone est un artiste genevois, à la fois auteur, compositeur, interprète, mais aussi comédien et metteur en scène. Il explore ici des alternatives à l’approche journalistique en proposant de rencontrer des artistes le matin tôt, juste avant l’aube.

Une réflexion sur “Une Heure Juste Avant Le Ciel : Baron.e

  • Trop beau cet article plein de sensibilité

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