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Une Heure Juste Avant Les Étoiles : Rébecca Balestra

Les artistes sont des oiseaux de nuit, ou alors ils entretiennent en parallèle une vie de famille ; cela rend difficile la mise en place des rendez-vous matinaux de cette chronique. Je me permets donc d’élargir le concept en racontant également une heure juste avant… les étoiles. Pour cette chronique, je retrouve Rébecca Balestra un peu avant le début de son spectacle éponyme, un seul en scène jouant avec les codes du stand-up. 

17 h 30. Rendez-vous au Théâtre Saint-Gervais avec Rébecca Balestra. Le lieu est désert, il n’y a encore personne ; personne d’autre que nous. Tâtonnant dans le noir, s’éclairant avec une lampe torche, elle effectue une série de codes et d’ouvertures de portes. Je la suis de près. Je regarde où je marche, tout est sombre, je fais comme je peux pour ne pas m’encoubler. Passages et couloirs étroits, moquette noire, silence religieux de l’avant-spectacle… clic… la lumière vient. Se dévoile l’étendue de fauteuils rouges, en rasade, donnant sur le plateau. Nous nous y installons. La servante est allumée — la servante, c’est une lampe qu’on laisse sur scène quand on n’y joue pas ; elle chasse les fantômes des théâtres.

Nous commençons par parler du silence, et des solitudes qui traversent chaque étape du processus créatif. Elle raconte l’absence du rire, celui qu’on doit entendre toutes les 15 secondes. Elle raconte le non-public des répétitions, l’impression de jeter une pierre dans un puits à chaque réplique. Elle raconte cette écriture-là comme une écriture qui ne peut pas rester seule, une écriture qui attend. Et après le texte, avant les rires, à quoi ressemble sa solitude ? Elle parle d’une certaine tristesse ; une déprime dissoute cinq minutes avant l’entrée en scène. Et ensuite, à la fin ? Sur ce projet de stand-up, l’après-spectacle est assez particulier : pas de rappels, retour à la maison rapide (la deuxième représentation de la soirée finit à 23h) ; une fin abrupte qui contraste avec la tradition théâtrale du grand final en rappel, révérence, révérence, merci-à-la-régie, disparition et réapparition, puis, encore, plus tard, champagne, discussions à la buvette, etc. De son entrée à sa sortie, elle ne laisse rien au hasard, assumant jusqu’au bout les codes du stand-up.

Elle cherche ses sixtus. Il lui en faut plein pour faire son fameux chignon, et elle n’a pas pensé à en prendre. Elle cherche dans son sac. Ah, encore un. Son chignon, c’est la grande superstition du spectacle :

 J’essaye vraiment de le monter le plus haut possible pour toucher le ciel et s’il est pas assez haut je le refais en boucle parce que j’ai l’impression que ça va me porter la guigne.

Du bruit. Un technicien arrive. Le théâtre se réveille doucement, quelque chose s’entame, je ne saurais pas dire quoi. À la billetterie, on s’y remet également. Un monsieur vient réserver des billets. Il doit être 18h. Spectacle dans 2h. Quelque chose s’entame.

Je quitte le théâtre un moment. Dans les rues, il y a quelque chose de quasi-mystique. Ce soir un spectacle a lieu. Et lorsqu’on le sait, on le sent. Je le répète, quelque chose s’entame. Comme une progressive ascension vers les étoiles. Plus que deux heures… déjà un peu moins.

Côté coulisses, Rébecca Balestra tend à s’épargner toutes les gesticulations d’avant-spectacle qu’elle a longtemps eu coutume de faire :

– Maintenant je m’économise et j’essaye vraiment juste de… de me concentrer cinq minutes avant d’entrer sur scène. Après je fais encore des vocalises, etc… mais je suis plus du tout comme avant à sauter partout et à essayer de créer une fausse énergie qui n’est pas là en fait.

En loge, avec ses galettes de riz, sa banane et sa focus water, elle est équipée comme si elle allait faire un trek ou monter une montagne. Son costume de briques attend, suspendu à son ceintre. Du moment où le chignon est fait, elle ne peut plus circuler partout ; les passages sont étroits et le grand chignon n’y passe pas. Elle attend sur un petit tabouret à cour, avec sa focus water et ses mouchoirs (elle a souvent le nez qui coule à cause du maquillage, ou à cause des acariens dans les fauteuils du théâtre, ou à cause de la poussière dans l’air qu’on voit dans les faisceaux du projecteur… alors elle se mouche beaucoup). Si le juste-après du stand up est différent de celui du théâtre, le juste-avant l’est également. Elle raconte (sur scène, d’ailleurs) comment, en coulisses de stand-up, l’ambiance est décontractée, à des années lumières des rites théâtraux :

– Au théâtre c’est tellement cérémonial, on doit se foutre douze bâtons dans le cul avant de monter sur scène.

Côté salle, le public (majoritairement un public de théâtre) s’amasse devant les portes. Il se tient en contrapposto, veste repliée sur l’avant-bras et programme à la main ; c’est la position-type du public en attente. Bruit indistinct, sans paroles ni voix.

Côté coulisses.

– Dernières inquiétudes ?
– La mémoire du texte, la présence de l’esprit et du corps, la respiration à la bonne place, la diction, la concentration, la joie.
– Derniers contacts avec l’extérieur ?
– Deux heures avant de mettre le téléphone sous mode avion, la gestion des places pour les gens qui ne réservent pas par eux-mêmes.
– Dernier geste ?
– Me moucher.
– Dernier son entendu ?
– La rumeur des discussions des spectateurs qui disparaît.
– Dernier mot ?
– Un juron.
– Dernière vérification ?
– Le chignon.

Noir salle.

Elle apparaît, éclairée en douche, micro à la main, emmurée dans son costume brillant, le chignon… le chignon va bien (Ouf !).

Durant l’entretien, je lui ai posé quelques questions sur ses perceptions olfactives ; je voulais qu’elle me parle du théâtre au travers de ses odeurs. Mais depuis le Covid, elle n’a plus d’odorat. La perte de ce sens est évoquée dans le spectacle, lors d’une « tirade du nez » — du nez désaffecté — plutôt déstabilisante, et qui souligne une fois de plus toute l’hybridité du spectacle. Mais je n’en dis pas plus. Simplement qu’elle ouvre au public un large panel sensible, sans autorité aucune, et que, comme dans Olympia, le précédent spectacle, on peut sentir la salle se fragmenter en une multitude de ressentis. Et c’est fascinant.

Le théâtre, c’est un « tout-ça-pour-ça » ; au fond ce n’est pas grand-chose. Des gens qui s’assoient en face d’autres gens, qui attendent une heure, puis qui regardent. C’est tout. Et dans ce tout, il y a tout. Tout de ce qu’on peut être. Rien de grandiose ; des choses qui subissent des choses. Et ça fait des histoires. Ça en fait se lever certains, sur un plateau dépouillé, sous une douche. Ça en fait rire d’autres. Et ça fait passer le temps, un peu du peu de temps qu’on a. On en sort avec quelques images, peut-être pas grand-chose, mais pas rien. Initiales R. B., elle tutoie les étoiles avec des bassesses. Des choses les plus merdiques, les plus sales, et les plus crasses, elle sait sauver, si ce n’est les meubles, l’éclat. Rien de plus et rien de moins que l’éclat. Oui, c’est ça ; l’éclat.

Luca Leone

Pour voir Rébecca Balestra dans son stand up éponyme, elle jouera au Théâtre Les Halles à Sierre du 17 au 18 novembre. Elle sera également à l’affiche du spectacle « Self Help » du 10 au 11 novembre au Théâtre du Pommier à Neuchâtel. Infos et réservations sur https://www.theatre-leshalles.ch/spectacles/rebecca-balestra (Pour le stand up) et sur https://lepommier.ch/event/732-self-help/ (Pour « Self Help »). 

Photo : © Sandra Pointet

Luca Leone

Luca Leone est un artiste genevois, à la fois auteur, compositeur, interprète, mais aussi comédien et metteur en scène. Il explore ici des alternatives à l’approche journalistique en proposant de rencontrer des artistes le matin tôt, juste avant l’aube.

Une réflexion sur “Une Heure Juste Avant Les Étoiles : Rébecca Balestra

  • Bravo pour ce superbe article très bien écrit et le titre modifié en » juste avant les étoiles » très bien trouvé.

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