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Une histoire, please, une histoire !

Trois artistes travaillaient de pair dans Please, please, please du 1er au 3 décembre à La Comédie. Trois façons de rendre une réalité concrète pour un seul récit articulé autour de notre Terre, de nos origines, racines et des petits mouflets qui viendront après. Que veut dire, finalement, être attaché·e, lié·e aux autres ? Une histoire commune à laquelle il faut croire, illustrée par la danse et les mots.

La pièce évoque ce qu’elle dicte en même temps : Accrochez-vous ! Accrochons-nous lors d’un cauchemar car il aura certainement une fin, accrochons-nous lors d’une course effrénée à travers le temps puisqu’elle se terminera bientôt, accrochons-nous lorsque les enfants débutent leurs cascades de questions à tout-va car elles s’apaiseront avec nos réponses… Le début de la pièce s’apparente à une fin ou tout au plus au milieu d’une autre, comme l’on devine, sous des costumes éblouissants, deux danseuses (Mathilde Monnier et La Ribot) qui se tortillent sur elles-mêmes, bondissent autour d’un animal de fer, ne musent jamais – mais l’on ignore la raison et elle n’est pas prête d’arriver. D’aucuns quittent la pièce, elle désarçonne. Puis, l’on entend différentes histoires d’être sur la Terre : barmaid, surfeur, maman. Au-delà du sentiment d’incompréhension qui s’empare de nous au début – le regard fixé sur ces deux êtres brillants – l’on sent un lien fort qui se tisse entre tous les spectateurs : Oui, nous tous, avons quelque chose à raconter et sommes pris dans une seule et même histoire, celle de notre Terre.

Le monde des cauchemars

La pièce puise dans le chaudron des images d’abord dénuées de sens logique : les cauchemars. Elle fonctionne par images interposées ; deux danseuses, visage caché, s’exténuent au sol, étirent leurs jambes, elles tentent de trouver l’ouverture d’une immense forme à tête de renard mais à la queue de castor ; différentes musiques résonnent dans la salle.

Puis viennent les mots, et là les danseuses se découvrent – comme si raconter une histoire conférait aux êtres humains une existence nouvelle avec une trame. L’on sort des ténèbres, quoi ! Les spectateur·trice·s commencent à comprendre ce dont on parle, on sent une accalmie soudaine dans la pièce. L’une des deux danseuses rapporte l’histoire d’une barmaid à Hiroshima peu avant l’explosion dont la force aura tout arraché. L’autre danseuse, quant à elle, évoque la mer lorsqu’elle – surfeuse qui ne peut surfer – regarde les vagues arriver. Chacune continue son récit et nous happe. Ça y est, l’on a trouvé un sens d’être tous là, nous écoutons comme des enfants ce qu’il adviendra de ces deux récits de vie.

Le mouvement et la vie

Les deux danseuses, d’une agilité et fluidité rare, ont dépassé les 20 ans – a-t-on pu penser lorsqu’elles découvrent leurs visages – mais quelle patate, énergie de dingue elles ont ! Elles donnent confiance, insufflent à leurs deux récits une profondeur sans pareille puisque c’est comme si elles avaient tout vécu auparavant et se meuvent en toute fluidité. Elles laissent la danse de côté puis racontent en courant, sans que l’on perçoive un seul indice d’essoufflement.

Elles impressionnent par leur forme et leur volonté de conter jusqu’au bout. On ne fait alors plus attention aux costumes – aux mélanges osés mais très harmonieux –, ni à l’animal de fer : on écoute la vie semée au gré des mots. On voit le mouvement et l’on comprend l’une des priorités humaines, essentielles : être le sujet d’une histoire qui continue, se savoir entremêlé avec d’autres grâce à des évènements et c’est bien sûr pour ça que l’on se marmonne à soi-même ce « oui d’accord, je sauverai la planète contre des prochains Hiroshima ou vagues dévastatrices ». Cette croyance à une histoire commune à tous, c’est bien elle qui nous gardera en vie et nous poussera au mouvement continu.

Et l’enfant fut créé…

On ne s’étonne donc pas que le spectacle accouche d’un enfant en fin de partie. L’une des danseuses jouera le jeunot qui veut comprendre le phénomène qu’est le monde environnant et sa mère, celle qui devrait pouvoir tout expliquer. La mère dicte des règles auxquelles l’enfant ne souhaite pas se résoudre. Ce moment est apporté avec beaucoup d’humour et la voix pénétrante de James Brown durant son Please, please, please.  Lui parlait d’une rupture – c’est aussi ce qu’il s’agit maintenant d’éviter pour l’enfant et la mère : une rupture avec leur environnement et/ou les proches qui les entourent. L’on apprécie de réfléchir au sort des progénitures et, plus généralement, de la planète sans culpabilité ni pression mais en jouant avec ce qui nous fait grandir, avancer : le récit.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Please, please, please de La Ribot, Mathilde Monnier et Tiago Rodrigues du 1er au 3 décembre 2021 à la Comédie de Genève.

Mise en scène : La Ribot, Mathilde Monnier, Tiago Rodrigues et Annie Tolleter

Avec La Ribot et Mathilde Monnier

https://www.comedie.ch/fr/production/coproductions/please-please-please

Photos : © Gregory Bartadon

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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