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Une nuit dans une étable

Aujourd’hui, c’est Noël ! Pour célébrer cette occasion, Magali Bossi vous propose un petit texte de création, pas piqué des vers, qui vous transportera il y a bien longtemps, par une nuit étoilée… dans un étable. Bonne lecture et joyeuses fêtes !

* * *

Une nuit dans une étable

 Voici une scène qui s’est déroulée il y a longtemps, très longtemps…
– Psssst…
– Hein ?
– Psssst ! Hé, tu dors ?
– Quooooi ?
– Tu dors, ou pas ?
– Ben… comment veux-tu que je dorme, alors que tu n’arrêtes PAS de parler ?
– T’as pas entendu un bruit ?
– Comment ?
– J’ai dit : t’as pas entendu un bruit ?
– Quel bruit ?
– Chais pas. Un truc genre – gnnnniiiiiiaaaaaark. Ou quelque chose d’approchant. Je crois que la porte de l’étable s’est ouverte…
– Mais pourquoi elle s’ouvrirait, la porte ?… T’as dû rêver. C’est pas encore le matin ; le fermier va pas venir avant l’aube. Il dort, LUI. Et tu devrais en faire autant, au lieu de me tenir la patte.
– Ouais, ben je te dis que la porte s’est ouverte.
– N’importe quoi ! Comment veux-tu que la porte…

[Soudain, une pause.]

– Et là… t’as entendu ? C’est bien des voix, non ? Et qui dit voix dit aussi… porte ouverte.
– Ouais… maintenant que tu le dis, c’est vrai. On dirait qu’ils sont deux, un homme et une femme.
– Attends, ils allument une torche. On va y voir un peu plus clair
– J’espère qu’ils vont faire gaffe, avec toute cette paille ! Imagine que l’étable prenne feu… ils auraient l’air malin, qu’est-ce qu’ils raconteraient au fermier ?… hééé, t’as vu ! La femme est drôlement enceinte.
– Oulàààà… la pauvre, elle a pas l’air bien. Faut qu’il l’aide à se coucher, au lieu de rester planté là comme un manche. Pousse-toi un peu, gros malin, on va lui faire de la place entre nous deux. Elle sera bien au chaud.
– Hé mais non ! C’est MA paille ! J’ai pas envie de partager avec une nana que je ne connais pas ! Et d’abord, c’est quoi ces manières ? On entre pas dans les étables des gens comme ça !
– Mais si, mais si… un peu de charité ! Tenez, mettez-vous là, ma petite dame.
– Purée… elle a l’air d’avoir mal.
– C’est les con-tra-ctions, bêta. Le travail a déjà commencé. Ça devrait plus être très long, maintenant.
– Depuis quand t’es gynécologue-obstétricien, toi ?
– C’est ça, moque-toi. Figure-toi que les humains, c’est pas très différent de nous autres, c’est juste des mammifères avec un peu moins de poils – ce qui, si tu me demandes mon avis, est plutôt idi… mais là n’est pas la question, ne m’embrouille pas, tu me fais perdre mon fil ! Tiens, tu vois ? Qui c’est qui avait raison ? Regarde comme elle pousse ! Allez, Madame, ça va bien se passer !
– Oh non, non non non ! ça a l’air TROP HORRIBLE, je veux pas voir ça !
– T’as qu’à fermer les yeux, non mais quelle chochotte ! Dire que tu roules des mécaniques sitôt que tu es dans le pré, mais quel crâneur… Allez, encore un petit effort, Madame… lààààà, c’est bon !
– Quoi quoi ? Je peux ouvrir les yeux ?
– Mais oui, andouille, le bébé est né, c’est bon ! Regarde comme il est chou ! Il a de tout petits pieds et de toutes petites mains… et puis son papa l’a emmitouflé dans une couverture toute douce… c’est trop chou !
– Trop chou, trop chou… tu parles ! Elle avait vraiment besoin de venir accoucher dans MA paille ? C’est pas hyper hygiénique, tout ça.
– Ta paille, ta paille… ils avaient sûrement nulle part où aller, regarde-les ! Et puis, l’étable est toute propre : c’est toujours plus douillet que de rester dehors, surtout à cette période de l’année. Bon, au lieu de râler, souffle un peu sur le gamin : faudrait pas qu’il attrape le rhume, le petit bout de chou !
– C’est vrai qu’il est chou… on dirait…
– Ah, j’entends encore des voix ! La porte s’ouvre à nouveau…
– ENCORE ! Non mais c’est quoi, cette fois ?! C’est pas l’Armée du Salut, ici !
– Ce sont des bergers, avec leurs moutons… ils ont l’air tout contents ! Visiblement, ils viennent dire bonjour au bébé…
– Des bergers ? Non mais on va pas accueillir tout Bethlehem dans NOTRE étable, ou bien ? En plus, les moutons, ça n’a aucun savoir vivre.
– Y’en a encore d’autres qui arrivent ! Des paysans, des musiciens, des marchands, des jongleurs, des tailleurs, des meuniers…
– TOUT CE MONDE ! Mais ils sont fous ! Comment on va faire pour dormir ?! Y’aura jamais assez de place…
– Qui te parle de dormir ! On va faire la fête, pardi ! Y’a des chanteurs, des lavandières, des boulangers… et là-bas, regarde !
– Quoi, quoi ?
– Des rois mages ! Tu as vu leurs chameaux ? J’ai toujours rêvé de causer philosophie avec un chameau, c’est mon jour de chance ! Paraît qu’ils sont super calés en métaphysique.
– Misère misère ! Mais qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu pour mériter ça ? Moi, je voulais juste dormir tranquille…
– Arrête de râler : tout le monde est heureux ! Réjouis-toi !
– Se réjouir, se réjouir…
– Y’a même un photographe !!! Eh ! On va être dans le JOURNAL de Bethlehem !!! Tu te rends compte ! Fais un sourire : on va entrer dans l’histoire ! Dans deux millénaires, on parlera encore de nous, tu verras.

Et c’est ainsi que, dans une étable à Bethlehem, un âne et un bœuf discutaient.

Magali Bossi 

Photo : © Efraimstochter

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé. Elle aime le thé et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Présidente de l’association La Pépinière, elle est responsable de son pôle Littérature. Docteure en lettres (UNIGE), elle partage son temps entre un livre, un accordéon - et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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