Une vie comme un roman
« Les rendez-vous se succèdent dans l’éden de Cihangir. Tisanes à la buvette, premiers frissons sous la charmille, premiers baisers sous les églantiers. Léna et Pierre tombe éperdument amoureux. » (p. 59)
La vie de Léna semble tout droit sortie d’un roman. Et pourtant… C’est en découvrant les cahiers rédigés par sa mère que Sandra Mamboury décide de s’en inspirer pour écrire un livre. Celle qui se nomme, dans À tout à l’heure, Maman, Léna Charlin de la Cour enchaîne plusieurs belles histoires d’amour, rencontres avec des célébrités… À l’instar de son propre père, Victor, qui a côtoyé Proust, Balzac, Musset ou Apollinaire, Léna se fait sa place dans les soirées mondaines, voyage dans le monde entier en suivant sa mère, Angelika, brillant chapelière. Mais le faste et la joie ont aussi leur pendant négatif : car Léna, dont la valise brune ne la quitte presque jamais, doit aussi faire face à une terrible blessure qu’on ne découvrira qu’à la moitié du roman.
« Fuir encore, sa seule issue de secours. Fuir sa mère Angelika, son beau-père Nassim et sa tante Efterpi qui se lamentent sur son sort à longueur de journée, intensifiant son chagrin. […] Fuir sa fille qu’elle n’ose plus regarder dans les yeux, si semblables à ceux de son frère. Alice, qu’elle ne parvient plus à aimer. Fuir cette ville de tous les malheurs. Non, Léna ne retournera pas à Istanbul. » (p. 121)
Le roman imaginé par Sandra Mamboury se compose ainsi véritablement en deux parties, réparties sur quatre époques : il y a d’abord son histoire, là d’où elle vient. Il y est question de ses parents, de leur belle carrière, du suicide du père, de la rencontre avec Pierre, qui deviendra le père de ses enfants… Puis il y a l’après, après la blessure qui déchire son cœur et dont elle mettra de longues années à se remettre. On la suit dans la suite de ses pérégrinations, avec des histoires d’amour malsaines qui finissent mal, des voyages qui se succèdent comme une forme de fuite en avant, jusqu’à l’éloignement avec sa fille Alice, et toutes celles et ceux qu’elle a côtoyés et qui ont compté pour elle : sa tante Efterpi, son amoureux Georges, sa mère Angelika…
Plus l’histoire avance, plus le récit à la troisième personne est entrecoupé d’extraits des cahiers de Léna. On plonge ainsi progressivement dans son ressenti intime, dans ce qui se passe dans sa tête et dans son cœur. Des éléments qu’on ne peut comprendre en ne les suivant que d’un point de vue externe. On aperçoit alors ses sentiments, ses blessures, la manière dont elle n’a pas réussi à se remettre durant tant d’années. D’un roman qui paraissait d’abord léger, on tend alors vers une histoire à la tension dramatique certaine, où la lourdeur qui pèse sur le cœur de la protagoniste prend le pas sur toute la joie qu’elle avait en elle.
« Le hasard va changer la destinée de Léna. Alors qu’elle se promène au bord du lac avec ses enfants, elle croise un ami qui, à l’époque, brassait de grosses affaires d’import-export à Istanbul. Albert Colin, c’est lui, l’invite à prendre un café à l’hôtel Beau Rivage. » (p. 83)
En lisant À tout à l’heure, Maman, on se demande bien sûr si la vie de Léna est romancée ou fidèle à ce qu’elle a vécu, tant tout paraît incroyable. Quelle est la part de fiction dans tout cela ? Tout est tellement digne d’un roman qu’on croirait que Sandra Mamboury a tout inventé…
On perçoit alors une belle évolution par rapport à son précédent roman, Le passé au présent : voyage au 21e avec mon ancêtre Pauline Viardot, qui nous avait laissé sur notre faim, principalement pour des questions de rythme, qui contrastaient avec l’originalité très appréciée de ce roman. Cette fois-ci, Sandra Mamboury prend le temps d’installer les différents éléments, quitte à plonger plus loin dans le passé pour présenter les parents de Léna. Les étapes de sa vie permettent de mieux cerner toute la complexité de sa vie, sans tomber pour autant dans un excès de longueurs. À tout à l’heure Maman s’avère ainsi bien rythmé, en nous donnant envie de découvrir toujours la suite des événements, sans aller trop vite à l’essentiel.
Et après cette vie mouvementée à laquelle on assiste, on est heureux de savoir que Léna a fini par retrouver la paix, pour partir sereinement.
« À l’aube du 13 novembre 2008, dans son appartement de la rue Ancienne, Léna revêt une jolie robe à fleurs, met du rose sur ses joues et du rouge sur ses lèvres. Comme pour un premier bal. » (p. 218)
Fabien Imhof
Référence :
Sandra Mamboury, À tout à l’heure, Maman, Genève, Éditions du Chien Jaune, 2024, 224 p.
Photo : © Fabien Imhof