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Variations : Comment s’en sortir sans sortir

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Le confinement a été une période particulièrement stressante – mais étonnamment riche en inspiration. Autour de la question « comment s’en sortir sans sortir ? », Aude Bavarel vous propose sa vision personnelle de la situation… à la manière de l’OuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle).

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Variations : Comment s’en sortir sans sortir

Comment s’en sortir sans sortir

13h13 Plaquée contre la table de ma cuisine, le regard rivé sur l’ampoule jaune. J’attrape ma bouteille et commence l’entreprise périlleuse de boire couchée. J’échoue. L’eau s’écoule dans mon cou, j’entends l’eau goutter sur le sol par les interstices de ma table. La prochaine fois que je mange, je pique-niquerai par terre.

13h25 Élan de motivation. Je griffonne frénétiquement une liste de choses à faire, une par une –  je paye mes factures, range mes cours, passe le balai, coupe mes ongles –  je coche les lignes. Je suis capable, je me sens adulte, responsable, autonome.

13h50 Repas de midi, je ferai la vaisselle plus tard. Je dois rendre un contrôle continu.

Comment s’en sortir sans sortir

Nécessité de décrire, de parler. Emballer une existence terne dans des phrases fleuries. Ennui créateur. Ennui apprivoisé. Ennui moteur. Besoin de mots pour décrire nos perceptions. Un coucher de soleil se pare de couleurs plus vives si on a un poème pour le décrire. Stylisation de l’existence. Réconfort, catharsis, compréhension, plaisir, doute.

Recherche frénétique de soi dans les mots des autres, dans leurs écrits. Affiner sa pensée grâce aux concepts des autres. Affuter ses opinions en les opposant aux autres. Affermir ses convictions en les partageant aux autres. Décrire ce qu’on est et ce qu’on n’est pas. Centre identitaire narratif. Le moi dépend de la manière dont il s’inscrit dans un discours intérieur et interpersonnel. On trouve la définition qui nous correspond grâce aux mots des autres.

Comment s’en sortir sans sortir

16h30 J’ai bien travaillé, je peux me reposer maintenant. Je m’installe dans le pouf qui n’avait pas eu le temps de perdre l’empreinte de mon corps avachi. Je pioche dans le tas de livres commencés. Alice Coffin. Quelques chapitres restants.

17h17 Je ferme l’ouvrage terminé, prends une respiration. Il est peut-être temps d’aller faire mes courses. Le seuil attire mon regard. Je le feuillette juste et j’y vais.

17h26 Je suis happée par les images qui se dévoilent sous mes yeux. Je suis l’héroïne, je suis son amie, je suis son enseignante. Je tourne les pages.

18h07 Je devrais vraiment y aller. Mais la Coop ne ferme qu’à 19h00. Dans 20 minutes, ce sera suffisant. Je dévore les dernières pages. Machinalement, j’attrape le prochain livre au sommet de la pile.

18h27 Je me lève, mets mes chaussures, et descends faire les courses.

19h00 J’ai rangé mes courses.

19h02 Et pourquoi je n’aurais pas le droit de m’asseoir en boule sur mes plaques chauffantes en dessous de la hotte d’aération. Me coucher face contre terre devant ma porte d’entrée. Travailler sous mon bureau. Lire dans ma baignoire vide.

20h12 J’ai faim. Soupe pain fromage. Mettre de l’eau à bouillir. Préparer le plateau et la planche à pain. Découper patate carotte poireau. Un peu de bouillon. Je prends un ouvrage théorique et essaye de m’y plonger. J’abandonne. Alors je prends Les orageuses et les nuages donnent du relief au ciel un instant.

Aude Bavarel

 Photo : © Free-Photos

Ce texte est tiré de la volée 2020-2021, animée par Éléonore Devevey.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

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