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Variations sur un thème avec progression de trois accords

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Le confinement a été une période particulièrement stressante – mais étonnamment riche en inspiration. Autour de la question « comment s’en sortir sans sortir ? », Michaël Gavaggio vous propose sa vision personnelle de la situation… à la manière de l’OuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle).

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Variations sur un thème avec progression de trois accords

S’en sortir sans sortir. Demeuré demeuré coi, quoi qu’on fût, confus comme un virement commun birman. Sagement, ça j’m’en fous ! Fou à lier aliéné, né d’une mère inconnue. Dune, mer, un cône nu à la vanille ; à l’avanie je ne saurais plier. Jeunes saurs, repliez deux mains des reins ! Demander un délai c’est mal. Délaisser ma cautèle et écouter les requins du rock indé connement. Décollement de la plèvre de la plèbe égayée. Bégayer

S’en sortir sans sortir

– Ouais… « S’en sortir sans sortir ». Et comment tu comptes faire ça ?

– Oh j’ai eu tout le temps d’y réfléchir, figure-toi. Déjà, examiner toutes les issues possibles ; celles que d’autres ont déjà pris et celles auxquelles personne n’a encore pensé.

– Mais tu te doutes bien que celles déjà prises vont être ultra-surveillées. Quant aux autres, je t’ai jamais connu très inventif…

– Laisse-moi terminer ! Ensuite, une fois qu’on en a identifié une de valable, on s’engouffre. On s’arrête sous aucun prétexte, tu piges ? Mais surtout sans se presser, tranquille. Sans avoir l’air d’y toucher, tout dans le feutré. On progresse, on déroule et, avant le temps de t’en rendre compte, on est sorti.

– Tu me fais bien marrer avec ton « feutré » ! À la seconde où on aura mis le pied dans le développement, on sera repéré. Ça se verra tout de suite qu’on est pas à notre place. Les gens sont pas si cons, tu sais.

– Écoute, mon p’tit pote : l’échappée belle, c’est pas pour les flipettes. Si tu te sens pas l’âme d’Icare, reste dans ce trou. C’est toi qui vois.

– Et pour le « sans sortir », génie du crime, c’est quoi ton plan ?

S’en sortir sans sortir

Comment résoudre cette aporie ? Comment accorder le désirable et le nécessaire ? Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ?

Rares sont ceux qui se satisfont de leur sort. Tendre ses pensées et ses efforts vers des lendemains meilleurs est une des choses les mieux partagées de l’humanité. Mais tout aussi commune est la difficulté de s’arracher à ce qui est connu, à nos habitudes. S’en sortir : oui ! Mille fois oui ! Mais sans sortir, sans s’extirper de la gangue protectrice de nos horizons quotidiens.

Face à cette ambition qui nous travaille, l’on peut se sentir parfois comme le passager d’un navire échoué sur les hauts-fonds. La côte accueillante est là, à quelques encablures, mais l’atteindre exige de se jeter à l’eau et braver les vagues. Notre esprit balance entre l’espérance et la prudence. Sortir de nos retraites nous demandera des efforts plus épuisants encore que parcourir le chemin vers ce que nos cœurs recherchent.

Dès lors, combien est grande la tentation de se contenter de ce que l’on a. Notre nature autant qu’une philosophie controuvée nous y aide. Après tout, l’eau continue de nous rassasier, notre sommeil est toujours aussi réparateur et l’air ne nous fait jamais défaut. À quoi bon ajouter des rides à notre front et des cheveux blancs à nos tempes.

Mais rien ne vient à nous. Notre aimant à bonheur est défectueux.

S’en sortir sans sortir, ce supplice de Tantale.

Micaël Gavaggio

Photo : © StockSnap

Ce texte est tiré de la volée 2020-2021, animée par Éléonore Devevey.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

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