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Vie brève : Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Tifène Douadi qui prend la plume. Elle vous propose de plonger dans une vie brève, celle d’une femme écrivain que vous connaissez sûrement sous son nom de plume… Bonne lecture !

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AMANTINE AURORE LUCILE DUPIN DE FRANCUEIL 

Écrivaine-e travesti-e

Elle était le fruit de l’union d’un soldat et d’une roturière, d’une illustre famille militaire et d’une autre populaire. Avant même sa naissance, on disait d’elle qu’elle serait absolument singulière.

Née à Paris le 1 juillet 1804, la radieuse Amantine Aurore Lucile Dupin était promise à un avenir unique. Sa petite fossette sur la joue gauche, son nez tout rose, son rire, tout la distinguait des autres nouveau-nés. Pétillante, c’était un être de Lumière. Elle avait ce je ne sais quoi dans le regard, quelque chose de franc et de déterminé ; elle était prête à prendre la place qui lui revenait de droit dans ce vaste monde. Dès les premiers jours, ses parents la surnommèrent ainsi « Aurore » – une idée de sa grand-mère. « L’Aurore signifie l’aube, le commencement. Elle est la lueur brillante et rosée qui précède le lever du soleil – ce moment si spécial où l’on s’élève ».

Son père, Maurice, lorsqu’elle était enfant, s’amusait à lui caresser le visage avec une plume pour l’endormir ; cela l’apaisait, disait-il, en dépit de l’avis de sa mère. Le rituel de la plume était le signe de la supériorité du père sur la mère, de l’homme sur la femme. Il était le symbole de l’orgueil des grandes familles. La fierté et l’honneur, se battre pour ses idées, voilà l’éducation que méritaient les vrais hommes. S’en aller, se battre, mourir avec honneur sur le champ de bataille – et laisser à ces femmes une petite Aurore, orpheline de père et âgée de quatre ans.

Sa grand-mère paternelle la prit alors en charge. C’était une femme instruite, indépendante, un modèle. Elle décida de compléter l’éducation d’Aurore et la plaça, à l’âge de quatorze ans, dans un couvent. Ce fut une expérience fort enrichissante. Débordante d’énergie, la jeune fille s’amusait à explorer les caves et les greniers en quête d’aventures. Elle en était désormais persuadée : elle était une femme courageuse. Elle était aussi fière et honorable, comme son père. Peut-être était-elle un homme ? Après tout, pourquoi pas ? Elle appréciait les avantages masculins – notamment l’équitation – et par commodité, elle décida de ne plus porter que des pantalons, des vestes et des chapeaux feutres. Finalement c’était un style qui lui convenait. On soulignait souvent son apparence inexorablement peu féminine : un visage anguleux, des traits marqués, une silhouette mince et élancée – trop élancée – trop grande, 1m72, et ses cheveux inhabituellement courts et bouclés.  Peu importe, elle irait au bout de son idée.

Lorsqu’à seize ans, elle revint au chevet de sa grand-mère à Nohant, dans ce petit village de France, l’ennui l’envahit. L’impression d’un manque, celui de ce monde à conquérir. Elle se plonge alors dans la lecture et comprend la puissance de la plume. Manie la plume celui qui est libre, fier, et honorable, mais manie la plume celui qui est homme.

A l’âge de vingt-huit ans, Aurore publie ainsi Indiana – un roman à succès. Et puis, le noir absolu, la confusion, la mort. Ci-gît Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, fille de, petite-fille de, ex-épouse de, morte pour écrire. Signant de sa plume, elle donne vie à George Sand.

Aurore n’était plus, et le soleil s’était levé. Ainsi soit-il.

Tifène Douadi

Photo : © Pexels

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