Les réverbères : arts vivants

Vous êtes ici : continuer d’exister dans le futur

Après le remplacement de l’épisode 5 par un livestream mettant en scène une poulpe, l’épisode 6 a malheureusement été annulé. Pour que la série ne subisse pas un terme abrupt, le TMG, qui devait accueillir le 7ème opus, a choisi de proposer une installation à son public. « Il faut se réinventer », vous disiez ?

En préambule, un petit mot sur le sixième épisode, COMMUNS, qui devait se tenir au Théâtre de Carouge. Alors que l’on savait depuis un moment qu’il n’aurait pas lieu, les comédiens ont tout de même travaillé, trois semaines durant, avec le metteur en scène Oscar Gomez Mata. Il y était question du monde d’après les failles. Comme une résonnance de notre monde à nous… Les huit personnages restants (Arbalète, Zacharie, Mad, Kaveh, Miguel, Cassandra, Alice et Lukas) devaient se réunir pour recréer les bases de la nouvelle société. Dans le court extrait de texte proposé sur le site de la série, on entrevoit toutes les problématiques et thématiques récurrentes depuis le premier épisode, dans le désordre : écologie, relation avec la nature, ralentissement, féminisme, confrontation des générations, transhumanisme, etc. On n’en saura toutefois pas beaucoup plus, si ce n’est que le glacier d’Aletsch participait lui aussi à la discussion. Dans la continuité, l’épisode 7 est proposé sous la forme d’une installation au TMG et nous plonge 200 ans dans le futur, revenant sur certains événements de la saga… Pourquoi ce choix ? Tout simplement pour que le public puisse assister à cet épisode ailleurs que derrière son écran, les musées et expositions étant à nouveau accessibles.

Un saut dans le futur

Dans l’installation du TMG, une voix-off s’adresse au public, se présentant comme la descendante du bébé d’Alice et Lukas, et de celui de Mad. Elle raconte comment la communauté est allée vivre dans une faille, sous la terre, et comment les failles se sont refermées. Laissant rapidement sa place au descendant de Poulpada. Devenu un cyborg capable de s’autoreproduire, cet être hors du commun a développé une intelligence poussée à l’extrême, et a notamment repoussé les limites du langage, créant une langue inclusive que nous serions incapables de comprendre, nous humain·e·s. Raison pour laquelle iel s’exprime avec les anciens accords, ceux d’avant le langage épicène, par souci de simplicité. Iel nous raconte comment et pourquoi Kaveh, ce partisan de l’ancien monde, a assassiné Lukas, comment la communauté s’est retrouvée coincée sous la terre après que la faille de Cointrin, comme toutes les autres, s’est refermée, comment tout·e·s se sont nourri·e·s avec ce qu’iels trouvaient… Avant que les deux bébés, ayant grandi, ne parviennent à sortir, grâce à leur petite taille et leur souplesse. C’est la reconstruction d’un monde qui nous est ainsi racontée pendant une petite demi-heure.

Une ambiance sonore et visuelle

Ce qui marque d’abord dans cette installation située dans le Lointemps, c’est le son. On entre dans la salle dans le noir total, accompagné par un air de piano dissonant. Petit à petit, l’installation se dévoile et on découvre un piano « Disklavier » – comprenez qu’on voit les touches bouger, mais sans pianiste. On comprend bien vite que l’atmosphère sera angoissante. Puis, un air qu’on connaît bien résonne : Sunday Morning, devenu le générique de la série. Pendant tout le déroulement de l’installation, le piano continuera à créer une ambiance sonore, tantôt angoissante, tantôt symbolisant l’espoir d’une reconstruction. Le son est renforcé par les voix off qui se succèdent. D’abord celle de la descendante des deux bébés, qui raconte son histoire et comment le cyborg Poulpada est capable de s’autoreproduire. C’est cet être qui est particulièrement fascinant. Au gré de ses reproductions, il a acquis diverses voix, pour devenir un être universel, sans sexe et à la fois mêlant tous les sexes, toutes les possibilités d’évolution. Durant ses récits, ce sont donc plusieurs voix qui s’entremêlent, prononçant les mêmes paroles, si bien qu’on n’est plus capable de distinguer si c’est un homme, une femme, ou un être encore différent qui nous parle. Cela en dit long sur la représentation de l’humanité, non plus binaire, mais bel et bien plurielle.

Et cette installation ne serait rien sans ce qui est l’une des marques de fabrique du TMG : le visuel. Pas de marionnettes à proprement parler, puisqu’il faudrait les manipuler comme dans un spectacle. On aperçoit tout de même, sur le piano, des petits êtres représentant les huit personnages dont il est question. À la place de la manipulation, un jeu d’ombres et de lumière, à grand renfort de tissus accrochés qui montent et descendent, dévoilant plus ou moins les racines présentes au milieu de la scène. Celles-ci nous ramènent avec subtilité dans le monde dans lequel a vécu la communauté, sous la terre. Et que dire de la représentation de la poulpe : on soulignera l’ingéniosité des créateur·trice·s de l’installation. Iels réussissent tout simplement la prouesse de faire bouger le rideau du fond pour lui instiguer les mouvements d’un poulpe, dont on aperçoit les têtes lumineuses en transparence… On y croirait ! Grandiose.

Du métadiscours au métathéâtre

Happés que l’on est par cette ambiance incroyable, qui nous fait passer par diverses émotions, on en oublierait presque le contenu du texte de Joël Maillard, co-écrit par Julie Gilbert et Michèle Pralong. Il y a évidemment le récit de ce qui est arrivé aux protagonistes. Mais cela a déjà été évoqué. Là où l’écriture surprend, c’est dans le métadiscours qu’elle développe. Alors qu’on est plongé dans l’univers de la poulpe avec le mélange des voix, l’un des comédiens feint de se tromper de ligne, créant un décalage avec le texte. Il faut donc recommencer. D’autres petits événements surgissent ainsi pour nous rappeler que nous sommes au cœur d’une installation théâtrale. Ce subterfuge permet d’engendrer des bribes de discussion autour de la situation des milieux culturels et de la façon dont ils doivent sans cesse se réinventer – le mot de notre temps. On n’entrera pas ici dans les détails, mais on relèvera simplement que les théâtres font preuve d’un courage et d’une ingéniosité sans faille pour continuer à proposer du contenu à leurs publics.

Parce que nous avons tout·e·s besoin de ressentir des émotions, et que seule la scène peut nous les procurer de cette façon. Une installation profondément humaine, malgré l’absence de comédien·ne·s et de contact. Merci au TMG pour ce moment.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Lointemps, l’installation, du 20 au 24 mars 2021 au Théâtre des Marionnettes de Genève.

Texte : Joël Maillard

Co-écriture : Julie Gilbert, Michèle Pralong

Installation conçue et réalisée par : Bérangère Vantusso, Jonathan O’Hear et Brice Catherin

Avec : Barbara Baker, Fanny Brunet, David Gobet et Barbara Tobola

Factrice de marionnettes : Einat Landais

Lumière : Jonathan O’Hear

Musique : Brice Catherin

Eléments scénographiques : Sylvie Kleiber et Jonathan O’Hear

Assistante à la mise en scène : Lucile Carré

Construction scénographie et lumière : Philippe Dunant et Oisín O’Hear

Collaborateur technique : Angelo Bergomi

Régie : Florian Zaramella

https://www.marionnettes.ch/installation-lointemps-mars-2021

Photos : © Gina Tagliabue (Installation) et © Isabelle Meister (Répétition à Carouge)

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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