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Zoopoétique : Récit de pérégrination aviennes

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, Lorie Raimondi expérimente un exercice de zoopoétique. L’enjeu ? Se mettre à la place d’un animal… Cet exercice est inspiré de notre défi « L’écriture qui pousse » du mois de novembre 2021, consacré justement au règne animal. Saurez-vous trouvez qui est le narrateur ou la narratrice de cette histoire ? Bonne lecture !

* * *

Récit de pérégrinations aviennes

Le silence et l’obscurité règnent encore autour de moi. Je perçois peu à peu les premiers chants des grandes silhouettes. Leur taille m’effraie toujours, mais leur présence m’est devenue habituelle. Ah ! La lumière vient d’apparaître. C’est au tour de mes semblables de s’éveiller. Ma tête lourde reste posée sur mon plumage. Je cligne des yeux à plusieurs reprises et jette un regard aux alentours. L’espace qui m’est accessible n’est pas très grand. J’ai deux récipients à ma disposition, contenant mes graines et mon eau. Une des grandes silhouettes glisse une de ses ailes chez moi. Je la reconnais. Elle nettoie ma maison et me donne à manger. Elle ne reste jamais longtemps. J’ai déjà essayé de m’échapper, mais une surface dure et froide m’en empêche. Je cherche désespérément à rejoindre ceux dont les chants me proviennent, au-dessus et en-dessous du lieu où je suis enfermé. Même si nous ne pouvons pas nous voir, nous communiquons beaucoup. Nous ne sommes pas tous de la même espèce, mais fort heureusement nos langues sont similaires. Pour nous comprendre, nous adaptons la hauteur de nos chants. De cette manière, nous avons établi des significations communes pour chaque type de fréquence. L’essentiel est d’échanger les informations rapidement, qu’il s’agisse de l’arrivée imminente d’une grande silhouette ou de l’installation de l’un des nôtres. Apparemment, nous ne sommes pas les seuls êtres captifs ici. Je tiens cette information du Grand Perroquet. De là où il se tient, il dit apercevoir ceux qui vivent dans l’eau. Malheureusement, il n’a jamais réussi à établir un contact avec eux. Moi, je suis seul ici. Je ne l’ai pas toujours été. Certains viennent, pour repartir immédiatement. D’autres restent plus longtemps. Ainsi, le temps passe et se ressemble, mais la partie la plus éprouvante de notre quotidien est la présence d’autres grandes silhouettes. Elles arrivent en un flot intarissable. Certaines me fixent simplement, d’autres chantent. Leur chant est trop irrégulier pour que je puisse le comprendre. Les plus dangereuses essaient de m’attraper, mais heureusement pour moi, la surface dure et froide les en empêche. Leur départ marque le moment où la lumière disparait. Ils ne nous restent plus qu’à dormir jusqu’au moment où elle réapparaitra. Il m’arrive de regretter les temps anciens. Aujourd’hui, je ne vois plus les rayons du soleil. Je ne peux plus voler. Je ne suis plus libre. Mais, je relativise. Je n’endure plus les affres de mon ancienne vie. Je me souviens de l’angoisse éprouvée lors de la recherche de nourriture, ou celle causée par la découverte d’un point d’eau asséché. Parfois même, les plantes qui produisent nos graines disparaissaient ou étaient déjà mangées par d’autres. La mort nous guettait partout où nous posions nos ailes. Perchés aux cimes, nous apercevions les grandes silhouettes. Mes semblables et moi savions que leur présence est toujours synonyme de dangers. Ils étaient effrayants, couvraient nos chants, prenaient notre nourriture et détruisaient nos habitats. Ici, les grandes silhouettes semblent moins dangereuses. J’ai même appris à les différencier. Celles qui reviennent toujours sont les mêmes qui nous donnent à manger. Je les reconnais à la couleur de leur corps sans plumes. Cependant, elles gardent des particularités. Certaines ont des poils plus longs sur le haut de leur tête, d’autres sont plus ou moins grandes. Mais celles qui ne reviennent pas… Je ne sais pas comment les reconnaître. Leurs couleurs sont bigarrées et leurs chants, tous différents. Tiens… la grande silhouette qui me donne habituellement à manger revient. Que cherche-t-elle chez moi ?

Elle tend à nouveau une de ses ailes dans ma maison. Pourtant, mes pots sont encore remplis… Au secours ! On m’attrape ! Où m’emmène-t-elle ? Que deviennent les oiseaux qui disparaissent ? C’était ma seule crainte !

Je suis dans un espace clos, très étroit et très sombre. J’entends comme des petites tapes régulières au-dessus de moi. Il semble y avoir des chants aussi. Le chant si particulier et si irrégulier des grandes silhouettes. Je ne veux pas faire de bruit. J’ai peur.

Je crois que je ne bouge plus. Je n’entends plus rien non plus. Je n’ai rien à manger ni à boire, ici. Je tente de donner des coups de bec sur la surface qui m’entoure. Elle semble beaucoup moins dure, et surtout moins froide que la surface que je connais déjà. Peut-être qu’en me concentrant sur un endroit précis je réussirai à percer un trou. Je ne sais pas ce que je ferai après. J’aviserai.

La boîte bouge ! Elle s’ouvre ! Je peux sortir ! Je chante dans l’espoir de retrouver un de mes semblables. Deux grandes silhouettes m’observent. Je vole d’un bout à l’autre de mon nouvel espace. On semble me chanter quelque chose. Je ne comprends pas. Je tente de leur répondre. Les silhouettes partent. Je fais le tour de ma nouvelle maison. Hourra ! Les mêmes récipients sont présents et, comme avant, l’un contient mes graines, l’autre mon l’eau. J’ai même des branches ! Quel plaisir de pouvoir s’y tailler le bec. Je trouve aussi un grand anneau dans lequel je peux me balancer. Voilà de quoi occuper mes journées. Je crois qu’un autre oiseau est présent dans cet espace. Comme c’est étrange…  Je vois ses mouvements, mais ne les sens pas. Il avance et recule en même temps que moi. J’essaie de lui chanter quelque chose. Il ne répond pas. J’essaie de le toucher. Il me touche. C’est dur et froid. Tant pis, je reviendrai vers lui plus tard.

….

Du temps a passé depuis que je suis arrivé ici. Je n’ai plus peur des deux grandes silhouettes qui passent très souvent devant moi. Et pourtant, qu’est-ce qu’elles m’effrayaient au début ! Leur visage est immense ! Je n’avais jamais eu l’occasion de les observer de si près. L’une des deux vient très souvent auprès de moi. Elle me chante longuement des choses et je ne cesse de lui répondre que je ne comprends pas. Je n’arrive pas encore à leur faire confiance. Ma méfiance est un atavisme. Parfois, ma maison est ouverte et j’ai accès à de nouveaux espaces. Quelle joie de pouvoir revoler ! J’ai déjà effectué plusieurs explorations au cours desquelles j’ai découvert de nouvelles matières et de nouvelles couleurs. J’espère pouvoir comprendre comment fonctionnent certaines de ces choses. Autre détail : j’ai remarqué peu après mon arrivée qu’un être beaucoup plus petit vit ici et possède un chant très régulier. J’en avais déjà vu des similaires dans mon ancien habitat. Ils accompagnaient souvent les grandes silhouettes. De tailles diverses, leur caractéristique principale est d’être toujours recouverts de poils. Je n’ai pas encore réussi à établir un contact avec lui, mais peut-être qu’avec le temps nous pourrons communiquer. Les deux grandes silhouettes lui chantent souvent des choses. Je suppose qu’ils se comprennent entre eux. Je pense que je commence à me plaire dans cet endroit. Il y fait toujours chaud. On me donne souvent des nouvelles choses à manger. J’aime particulièrement ces petits morceaux jaune pâle et très juteux. Je cherche cependant toujours les miens. J’entends parfois des chants qui me sont familiers, au-delà de ces surfaces dures et froides. Malgré mes appels, ils ne viennent jamais vers moi… J’aime aussi cet endroit parce que je ne vois plus ces nombreuses grandes silhouettes bigarrées. Je suis rassuré. Je n’ai jamais su ce qu’elles attendaient de nous. Je continuerai de découvrir ces lieux. Je retrouverai peut-être mes semblables et ceux dont j’ai entendu les nombreux chants. Je veux leur raconter le récit de mon voyage et ensemble, nous tâcherons de découvrir la raison de notre captivité chez les grandes silhouettes.

Lorie Raimondi

Ce texte est tiré de la volée 2021-2022, animée par Magali Bossi et Natacha Allet.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

Photo : © stux

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