Les réverbères : arts vivants

Ambitions d’un jour, ambitions toujours

Avec Marjolaine Minot et Günther Baldauf, il y a une règle d’or… que l’on adore ! Acrobaties, chants, danse, musique… Dans Je suis plusieurs, comme dans La poésie de l’échec en 2021, les arts sont harmonieusement réunis sur scène et promettent une immersion sans pareil. C’était à l’Alchimic jusqu’au 12 novembre.

Elle est devant nous, la petite, elle dort dans son immense lit surmonté d’un dais. Elle a pourtant 32 ans mais n’arrive pas à se réveiller – ou plutôt, si, le réveil sonne mais elle n’a pas envie de se réveiller, d’affronter le panel vif et agressif des responsabilités qui attendent, comme tapies dans un coin. Mais elle n’est pas seule… La voilà accompagnée d’une dizaine de lutins ? êtres fantasques ? voix intérieures ? qui surgissent du lit. Des côtés du lit, de dessous et de dedans du lit. Le procédé est incroyable, nous avons l’impression que tout un régiment de personnages pour le moins spéciaux – ayant toute un rôle bien à eux – ne cesseront de se déverser sur scène, sautant hors du lit et venus des tréfonds d’un monde pas si inconnu que ça ! C’est l’histoire d’une jeune fille qui se demande comment être adulte… être adulte et se sentir bien.

Partout, des voies

L’on parle, dans la pièce, de toutes ses voix qui, parfois, se laissent entendre lorsqu’il faut prendre des décisions. Les grandes décisions, comme celles de notre avenir, de notre travail, de nos loisirs. Ainsi, il y a le peureux, la combattante, la mémoire transgénérationnelle, le clown, la créative. Iels sont tou·te·s affublé·e·s de costumes des plus parlants : pull avec petits pics en métal pour la combattante, habits beiges, gris qui se fonderont toujours dans le décor sans être oubliés pour autant pour le peureux et ainsi de suite…

Henri Michaux affirmait avec grande retenue, dans la postface de Plume : « On n’est peut-être pas fait pour un seul moi. » Et les comédiennes et comédiens oscillent avec grande aise entre les acrobaties et les chants pour illustrer ce que le poète disait. C’est une approche légère, joyeuse pour mettre en scène ce qui accapare et enferme « la petite ». C’est elle qui se sent petite, menue, comme en position défensive par rapport à la vie qui défile sans elle mais l’appelle sans arrêt : Thomas, son chef, des ex-copains, son père, disparu pourtant du quotidien depuis si longtemps. Elle se raconte à elle-même et à ses petits lutins, également, ce qui l’agite… Comme elle ne sait pas vraiment quels chemins prendre.

 

La tête qui tourne

Le projet, interdisciplinaire, notamment avec un musicien sur scène, des acrobates sans doute avec un grand passé circassien, dépasse les contours d’une pièce de théâtre. Il s’apparente à une histoire narrée au coin du feu avec des figures qui prennent vraiment vie. Le procédé scénique fait d’ailleurs écho à une grande maison de poupée, constituée d’échafaudages et de draps colorés, derrière lesquels on aperçoit les êtres du monde intérieur, qui tentent tant bien que mal d’aider la petite à se faire confiance. Gros tintamarre sur scène lorsque tous parlent ensemble, puis grands moments poétiques lorsque chacun défend son bout de pain et effectue une chorégraphie de danse contemporaine et d’origine africaine.

Marjolaine Minot et Günther Baldauf laissent amplement place à deux concepts : Le mouvement et la souplesse. Les voix intérieures s’accrochent aux barres d’acier, puis les défont et créent une douche, un bureau, d’autres espaces nouveaux comme tant d’ambitions qui naissent et s’en vont au fil du temps. Mais nous assistons également à des dialogues entre les différentes voix. Car, oui, que cela pourrait-il donner de tisser un dialogue entre la peur et la colère en soi ? A méditer…

La grande force du spectacle est sans nul doute, comme celle de La poésie de l’échec, d’aborder les déboires et les injonctions du quotidien avec respect, humour fin et une distance de grand sage. Aussi quitte-t-on la salle avec la sensation d’avoir grandi, d’avoir compris en ayant ri jusqu’aux éclats.

Nous nous en allons à la recherche de notre mémoire transgénérationnelle et de notre personnage créatif. À ce qu’il paraît, iels ne sont pas bien loin.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Je suis plusieurs, de Marjolaine Minot et Günther Baldauf, au Théâtre Alchimic, du 1er au 12 novembre 2022.

Mise en scène : Marjolaine Minot et Günther Baldauf

Avec Marjolaine Minot, Audrey Launaz, Modou Dieng, Christa Barrett, Guillaume Prin, Delphine Delabeye, David Labanca, Florian Albin, Dario Miranda (musicien live)

Photos : © Julien Auzan

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

Une réflexion sur “Ambitions d’un jour, ambitions toujours

  • Claude Demeure

    Un spectacle très abouti en effet. Une écriture théâtrale des plus originales et redoutablement efficace qui concilie poésie, fantaisie, intelligence et créativité.
    Mais à quoi bon publier un tel compte-rendu le jour même où la pièce se termine !?! 😳🙄

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