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Âmes Sœurs

« Porté sur le calcul et l’analyse, Victor était insensible au besoin de l’être humain de parler pour exister, à la nécessité de créer un réseau d’amis à qui exprimer son bonheur ou son malheur d’être en vie. Il était […] incapable de la moindre sympathie pour ses frères humains déboussolés. Incapable de comprendre leur besoin de se connecter et de communiquer pour briser le lourd silence de l’univers. » (p. 58)

Pour notre antagoniste, l’enfer, c’est quand les autres s’expriment un peu trop fort, un peu trop brutalement. Le vacarme engendré par l’avènement des nouvelles technologies de communication, voilà l’objet du combat philosophique et politique de Victor Morand, un tueur en série qui a la singularité de tirer, non pas à vue, mais à l’ouïe.

En effet, Victor est un adorateur du silence qui combat sans relâche tous ceux qui s’opposent à son Dieu ; un prophète à la parole libératrice ; un activiste qui œuvre pour un meilleur futur pour l’humanité, ou du moins, c’est ce qu’il croit être. Ce qui se cache réellement derrière ce personnage est un égocentrisme exacerbé, une volonté de débarrasser le monde des sons qu’il perçoit comme des nuisances. Contrairement au récit grandiloquant qu’il se fait de sa personne, la vérité est qu’il tue par réaction, lorsque quelqu’un ose le déranger dans sa précieuse quiétude – par exemple, en mettant la musique trop fort dans sa voiture lorsqu’il passe.

Doux comme le silence est un roman policier de Raphael Guillet paru aux éditions Favre en 2021. Il s’agit d’un récit qui retrace l’enquête que l’inspectrice Alice Ginier consacre à un tueur en série méthodique et qui agit sans mobile apparent. Faisant référence à de nombreux éléments caractéristiques de la ville de Lausanne (comme le métro M2, la fontaine de la Place de la Palud et le Café des Artisans), l’auteur utilise la géographie du chef-lieu vaudois et de ses alentours de manière astucieuse et nous plonge facilement dans le récit par son réalisme.

Ce récit, hautement psychologique, est construit d’un enchevêtrement des points de vue du criminel et de l’inspectrice. Les deux mondes, parfaitement distincts au début du roman, se rapprochent lentement, jusqu’à entrer en collision lors d’une scène finale qui relâche la tension construite tout au long du récit d’une façon légère, presque poétique. Poétique, car ce rapprochement ne se fait pas qu’à travers les éléments d’intrigue. En effet, à mesure que l’on avance dans la lecture de Doux comme le silence, les ressemblances entre l’inspectrice et le tueur deviennent de plus en plus saillants, au point de dresser entre eux une parenté idéologique, ce qui rend la résolution du récit un peu plus complexe que celle d’une enquête policière classique. En plus d’être intéressant, le personnage d’Alice Ginier s’avère tout à fait réaliste, en tant qu’il concilie bien le fait d’être à la fois une femme et un agent de police. L’accent n’est pas mis sur sa féminité, bien que cette question ne soit pas non plus écartée, ce qui a comme effet de donner une dimension naturelle au personnage. En revanche, l’antagoniste Victor Morand, quoique l’auteur arrive la plupart du temps à concilier ses aspects activiste et égocentriques, se révèle parfois trop rigide, trop aveuglé par son idéologie, ce qui a comme effet de le rendre enfantin par moments.

Le roman de Raphael Guillet allie le sensationnalisme caractéristique du roman policier à une réflexion sociologique sur le monde moderne, à travers une écriture simple mais évocatrice par son efficacité. Les pages se tournent vite. On en redemande toujours plus à chaque fin de chapitre.

Utsav Gautam

Références : Raphaël Guillet, Doux comme le silence, Lausanne, Éditions Favre, 2021, 256p.

Photo : © Utsav Gautam

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