Les réverbères : arts vivants

Ars Nova : quand l’opéra se fait vestige

Pour la troisième saison consécutive, la Pépinière collabore avec la Maison Saint-Gervais et propose des reportages autour des créations de la saison. Sous la houlette de Romain Daroles, la Cie La Filiale Fantôme monte son camp de base au Théâtre Saint-Gervais, du 5 au 10 mars. Leur mission ? Une exploration archéologique et sonore, dans un décor postapocalyptique qui les amènera à redécouvrir l’opéra. Ça vous intrigue ? On vous dit tout sur Ars Nova.

À voir la scène du Théâtre Saint-Gervais, on en oublierait presque qu’on est dans la grande salle d’un théâtre. D’accord – quand on rencontre une troupe en pleine répétition, à quelques jours de la première, il est plutôt habituel que les lieux prennent un petit air de chantier… mais à ce point-là, c’est assez rare ! Face aux fauteuils du public, la scène n’a plus rien d’une scène : trois monticules de pierre noire font crisser les semelles, roches figées dans une atmosphère qui sent le charbon. Au cœur de l’un d’entre eux, on devine une excavation, comme le cratère d’un volcan. Côté jardin, au fond, une tente est plantée : de celles qui évoquent le camping sauvage… ou les champs de fouille d’étranges archéologues. Alors que le regard erre, de ci, de là, cette dernière impression se précise : sur scène, on trouve aussi d’étranges instruments de mesures, qui ressemblent à de vieilles radios, à des capteurs un peu psychédéliques aux allures d’ordinateurs ou de haut-parleurs d’un autre âge. Mais qu’est-ce qu’on peut bien trafiquer ici ?!

La réponse n’apparaît pas tout de suite – pourtant, en voyant apparaître les quatre acteurs et actrices que le projet Ars Nova rassemble (Romain Daroles, qui porte la conception et qu’on a pu récemment voir dans l’excellent Phèdre ! ; Mathias Brossard, Marion Chabloz et François-Xavier Rouyer), on commence à comprendre. Lourdes chaussures de randonnée aux pieds, ils et elle portent des tenues entièrement blanches, comme celles des peintres… ou de cosmonautes un peu destroy. Que font-ils, au milieu de ces champs de ruines ?

Caler (les sons) sans caler (son moteur)

Ce mardi-là, la première partie de l’après-midi est consacrée à la mise en place minutieuse de ce qu’on peut appeler « le calage » (terme que je sors de ma besace, mais qui me semble tout à fait convenir !). Il s’agit, à la manière d’une broderie minutieuse, de faire tenir entre elles plusieurs composantes essentielles de Ars Nova – les mouvements et déplacements des acteur·ice·s, la bande-son interprétée en live grâce aux divers instruments éclectiques présents sur scène (par exemple, un détecteur à métaux ou un petit robot à chenilles qui évoque les explorations sur Mars) et celle diffusée depuis la régie son, assurée par Philippe de Rham. La cohabitation entre ces trois éléments s’avère fondamentale dans Ars Nova car, comme me l’explique Romain Daroles entre deux reprises de scène, ce qui se joue dans cette pièce, c’est la découverte par des scientifiques du futur de… l’opéra. Rien que ça.

Voilà la raison de cet étrange gisement, de ce camp de recherche aux allures de science-fiction ! Ars Nova nous propose une vision du futur, non située clairement dans le temps : des scientifiques (archéologues ? géologues ? êtres humains ? entités extraterrestres ? à chacune et chacun de construire sa propre fiction !) découvrent un gisement qui, étrangement, émet des sons… d’abord indistincts puis, grâce à un protocole de placement minutieux des outils de mesure, mélodieux : dans un monde lointain qui a oublié l’existence de la musique classique et de l’opéra, voilà nos quatre personnages en proie à une découverte qui les bouleverse – celle d’un art désormais ignoré, qui ouvre à des émotions et affects inconnus. Comment comprendre, dès lors, cet ars nova qui a perdu tout sa signification ?

Lors de cette première partie de « calage », c’est par bribes que l’on saisit l’enjeu du scénario de Ars Nova. L’intérêt, néanmoins, réside pour l’instant ailleurs – dans la manière dont Romain Daroles cherche un équilibre subtil entre déplacement, sons et musique ; dans les fausses-bonnes idées de mouvements, finalement abandonnées ; dans les échanges de ressentis entre plateau et régie, pour trouver la meilleure façon d’interagir ensemble. On se sent un peu hors-sol, hors-temps, dans un espace et une temporalité qui reprennent sans cesse la dernière partie de la pièce (le crescendo final), pour trouver la manière juste. Dans ces conditions, sans la continuité narrative de la pièce, difficile pour l’équipe de caler tous ces éléments sans « caler » – c’est-à-dire, perdre son énergie à la manière d’un véhicule qui s’arrêterait brusquement… et pourtant, ça marche !

Du filage à la première

Après une courte pause, le travail se poursuit avec un filage complet de la pièce. Mélissa Rouvinet (qui assure la scénographie, les costumes et les accessoires) remet de l’ordre dans le décor, redonne au champ de fouille son apparence initiale… puis, on commence, comme si on y était. À ce stade, ne comptez pas sur moi pour vous livrer le fin mot de l’histoire : pour le découvrir, il vous faudra pousser la porte du Théâtre Saint-Gervais dès le 5 mars – et faire un saut dans le futur pour (re)découvrir l’opéra comme vous ne l’avez jamais entendu.

Magali Bossi

Infos pratiques :

Ars Nova, de la Cie La Filiale Fantôme, du 5 au 10 mars au Théâtre Saint-Gervais.

Conception : Romain Daroles

Avec Mathias Brossard, Marion Chabloz, Romain Daroles, François-Xavier Rouyer

https://saintgervais.ch/spectacle/ars-nova/

Photo : © Cie La Filiale Fantôme

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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