La plume : BA7La plume : créationLa plume : littérature

Autoportrait : Les méandres de soi

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style ! 

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas ! 

Aujourd’hui, Noah Grisoni vous plonge dans ses « méandres de soi », tout en poésie… Bonne lecture !

* * *

Les méandres de soi

La voie·x de l’autre

Aujourd’hui, je prends un autre chemin afin de me rendre à mon atelier – lorsqu’à un croisement, en plein milieu des automobiles et des passants absorbés, je surprends un air de musique. Je distingue un chant, une voix qui m’attire. J’ai l’impression qu’il n’y a que moi qui entende cette mélodie. Malgré tout, qu’importe, je vais suivre ce fil d’Ariane. Je découvre, entre les grises ruelles, cette île inattendue, entourée par des nuages d’immeubles. Baignée d’une mouvante lumière, cette place est fleurissante de végétation. Je décide de déposer mes sandales afin de sentir l’herbe caresser mes pieds. En m’avançant, une douce chaleur mariée à un air frais me conduit sur un banc où je m’assois pour écouter cette sérénade. Les rayons traversent le feuillage et arrosent mon visage. Il m’est impossible de reconnaître la langue de ce chant mélodieux, mais ses mots font sens au plus profond de mon être. L’enivrant parfum de cette voix inconnue m’immerge en moi. Je me sens enfin prendre racine, à l’ombre de ce paradis vert. Perdu dans mes pensées divagantes, le temps s’écoule à un autre rythme, au rythme d’une danse, celle des songes. Émerge la soudaine sensation qu’un feu d’artifices naît au creux de mon ventre, grandit jusqu’à m’éclabousser de ses couleurs.

Lorsque je me réveille de cette autre réalité, le chant a cessé. L’artiste se trouve à la fenêtre, contemplant la place verdoyante et touchant délicatement mon âme de son regard. Le vent avait consumé ma cigarette, j’en rallume une pour faire passer ma gêne et recoiffe mes cheveux ébouriffés. Mes jambes sont engourdies et je dois faire un curieux effort pour me relever. Je crois percevoir son sourire qui me décontenance de plus belle. De là où je suis, je peux distinguer un subtil maquillage qui attire davantage mon regard. Je suis une proie, consentante, comme happée dans une toile. – Je ne dois plus me laisser faire et reprendre le contrôle de moi, mais est-ce vraiment ce que je désire ? – Me voyant sur le départ, sa bouche s’ouvre enfin et décoche des mots qui me font rester. Ses mots glissent en moi et fondent sous ma peau.

Pensée

Pansement médicamenteux permettant de couvrir des plaies. S’il n’est pas appliqué comme recommandé, il peut en créer de nouvelles. Adapter la dose requise. En cas de surconsommation, des effets secondaires sont inévitables. Lire attentivement la notice. Si les symptômes persistent, consultez votre médecin.

L’aurore du temps

Après environ une heure de route les yeux bandés, tu découvres enfin le lieu de votre arrivée. Vous êtes au beau milieu d’une plaine enneigée, où les arbres ont laissé leurs habits les plus verts pour se couvrir d’un large mentaux blanc. Le ciel est dégagé, mais taché par quelques nuages dévoilant leurs formes imaginaires. Ils se déplacent au gré du vent, libres de toute attache, éphémères. Tu es perplexe et ne comprends pas encore la surprise qui t’attend. Vous apercevez au loin un groupe et avancez pour les rejoindre. Sur le chemin, le soleil se reflète sous tes pieds et brille au fond de tes yeux. Quand soudain, tu lèves la tête et aperçois ces créatures fantastiques. Elles sont si nombreuses, si somptueuses ! Il te paraît irréel de les voir en vrai. Tu es timide, pourtant on t’emmène en direction du chef de la meute. Sa corpulence est intimidante, mais une délicate tendresse émane de lui. Automatiquement, tu tends la main afin de caresser son doux poil et ce faisant, tu plonges tes yeux d’enfants dans les siens. Tu es lui et tu souhaites qu’il soit toi, au moins pour un instant. – À ce moment, je nais dans la nuit. La noirceur m’enveloppe. Un océan d’étoiles défile dans le reflet de mes yeux. La forêt est désormais mon berceau, mais demeure un foyer indomptable. Le temps s’écoule aux rythmes du silence perturbé. Entouré d’un bois que je ne regarde pas, je me sens arbre sans racines ancrées au sol, je pousse en suspension, lévitant entre mère et terre, entre ciel et père. À ce moment, je nais dans le jour. – Lorsque ma main quitte son museau, je constate que son regard profond ne m’a pas lâché et ne lâchera jamais. Notre voyage est sur le point de commencer.

Attachement

Elle se dévoile derrière ses caractères intimes. L’ombre d’une caresse de l’absence. Elle la condamne à un perpétuel dilemme interne de l’attachement. Paradoxe entre le manque, et le trop plein. Liberté de la solitude, mais tristesse profonde. – Une chaleur soudaine la prit de plein fouet. Telle une vague qui la poursuivait. Elle qui se sentait enfin seule et loin de tout. C’est ce qu’elle voulait d’elle, la maintenir debout.

 

Entre-temps l’évasion

Je m’éloigne en m’évadant. Perdu à la poursuite du temps qui me rattrape. Je me perds en essayant vainement de le comprendre. Il m’apparaît comme une ombre malsaine qui me hante. Il est donc temps de partir sur mon île de silence où le temps peut être moi. De cette manière, il me semble possible de lui échapper. Ma première sensation est l’herbe humide qui me caresse du bout des doigts. Je me lève et contemple quelques instants l’horizon. La mer de nuages s’étend à perte de vue. Suis-je seul ? Au centre de l’île une cascade se dresse au pied d’une montagne. Son bruit blanc m’accompagne dans une danse effrénée avec les arbres. Je cours, je saute, je plonge, je vole. Je m’évade en m’éloignant.

Apaisement

Ne jamais boire le verre à moitié vide et toujours vider le verre à moitié plein.

Noah Grisoni

Ce texte est tiré de la volée 2021-2022, animée par Magali Bossi et Natacha Allet.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

Photo : © 5075933

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *