Autoportrait : Esquisse sémiologique de ma pensée
Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !
La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !
Aujourd’hui, c’est Amaryllis Bosson qui prend la plume. Elle se présente à travers un autoportrait sous forme de lexique… Bonne lecture !
* * *
Esquisse sémiologique de ma pensée
CADRE [kadr] n.m.
- Bordure entourant une glace, un tableau etc. > encadrer « Un cadre noir ceignait la feuille blanche immaculée. Pour l’instant, il n’encadrait qu’un espace inoccupé, un no man’s land qui demandait encore à être conquis »
- Ce qui circonscrit, entoure un espace, une scène, une action > histoire cadre: « Assise dans une bibliothèque telle une enfant modèle, elle se demandait bien ce qu’elle allait écrire : un portrait en forme de définition, une définition en forme de portrait. Elle cherchait un mot qui ait du vécu, un mot qui ait parcouru le temps aussi maladroitement qu’elle sa vie. Elle se mit alors à écrire les mots qui suivent… »
- Ce qui définit une idée, une pensée > définition: « Finalement, le cadre des mots, c’est peut-être leurs définitions ; il s’agit là d’un cadre souple, changeant, évoluant au gré de l’expérience. Ainsi, les dictionnaires sont les annales des mots, ils retranscrivent les parcours individuels des termes, façonnés par leurs rencontres avec diverses consciences au cours du temps. »
COCHONNE [késèn] n.f., etym. : « Maman, j’ai mangé comme une cochonne et j’en ai mis partout-partout » – première phrase, 2001.
- Animal de ferme apparaissant après la poule et le coq et avant le cheval et la jument dans le CD de Marlène Jobert « Albert le poussin qui fait tout de travers » (2003) > cochonnet: objet culte de l’enfance, nécessite un entretien particulier : gratter l’arrière de l’oreille droite avant de s’endormir.
- Personnage secondaire dans Shaun le mouton (2005)
- (Zoologie) femelle du cochon, syn. truie, selon le livre de biologie de Mme Walls, professeure en classe enfantine, dont la voix imite à la perfection le bruit de l’animal en question (2007) : « Silence ! Je disais donc, la cochonne est la femelle du ? Du ? Du cochon ! Bon sang, mais c’est pourtant pas compliqué »
- Insulte gentille qualifiant une personne malpropre, qui permet d’être méchant sans pour autant être grossier, comme l’interdisent les parents (2010) : « Madame Walls est sale, c’est une cochonne »
- Adj. qualificatif misogyne qui prolifère dès la fin de l’école primaire pour qualifier les filles complètement mineures et déjà complètement sexualisées (2013), syn. salope : trouble dans la formation prépubère de mon vocabulaire : « La salope est-elle la femelle du porc ? »
- Adj. qualifiant certains comportements sexuels excentriques (2017), sens qui proscrit définitivement l’emploi de la phrase « J’ai mangé comme une cochonne et j’en ai mis partout, partout » en famille.
DIALOGUE [djalɔɡ] n.m.
- Entretien entre plusieurs personnes > colloque conversation, tête à tête: « — Tu t’imagines lire ça en tête à tête avec la classe ? – Non, faut trouver un mot moins graveleux, un mot plus sérieux tu vois ? Un mot qui fait plus “lettres”. »
- Ensemble des paroles qu’échangent les personnages d’une pièce de théâtre, d’un film, d’un récit : « Quel mot ? – Eh bien, pourquoi pas le mot « lettres » ? – Très fin. Très très fin ça. Pourquoi pas le mot “dialogue” pendant qu’on y est. Et puis, faire “lettres”, je vois pas l’intérêt, on te demande pas un dialogue de théâtre classique ! T’as pas compris l’exercice ? – Si, j’ai compris : le but, c’est de faire un autoportrait, je sais. »
- Contact et discussion entre deux parties à la recherche d’un compromis >concertation, négociation, pourparlers: « Faut qu’on trouve un mot qui nous raconte, un mot qui nous ressemble, “blonde” par exemple. – Tu trouves que blonde, ça nous définit, sérieux ? Merci le cliché. Je propose “casse-tête”. – J’aime pas. – On n’est pas très douées en négociation en tout cas. »
- Ouvrage littéraire en forme de conversation : « On n’a pas assez d’espace pour finir notre conversation. Faut trouver un moyen d’arriver à un compromis. – Je donne pas dans le compromis mais va pour l’espace, je rajoute un mot qui permet de continuer le dialogue. »
DIALOGISME [djalòZism] n.m
- Dialogisme implicite, théorie selon laquelle le monologue intérieur présenterait une structure dialogique : « Ça joue les grands génies, mais ça oublie son alphabet : “dialogisme” c’est avant “dialogue” dans le dictionnaire. – T’inquiète personne remarquera. – Tu parles… – Tu ne crois pas qu’on s’égare là, avec nos tergiversations. – Pas tellement au final, ce type de questionnement, ça nous est propre. D’une certaine manière, c’est l’autoportrait de notre pensée. »
- Littéraire : il y a dialogisme lorsque deux voix se disputent un même acte d’énonciation : « Tu peux arrêter avec tes grandes idées, tu prends tout l’espace, tu m’écrases. – Attends, on ne va pas se disputer quand même. »
- Linguistique, aliénation de la langue dans sa nature même par l’influence d’autrui dans l’apprentissage de celle-ci > dialogisme discursif: « Bon, tu sais quoi ? Je t’offre le choix final, mais sans vouloir t’influencer, fais simple, fais drôle, fais en sorte que le dernier mot soit simplement drôle. »
POUTRE [putr] n.f.
- Mot simplement drôle.
Amaryllis Bosson
Vous souhaitez découvrir d’autres textes produits dans cet Atelier ? N’hésitez pas à vous rendre dans nos pages numériques… et à découvrir une sélection-florilège sur L’Exultoire (le site de l’Atelier).
Photo : © StockSnap