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Calvaire à l’orphelinat

« Le Sacramento était un des plus violents établissements du genre. D’aucuns disaient qu’il s’agissait d’un véritable centre de formation au crime, et plusieurs manifestations de riverains avaient demandé sa fermeture au cours des deux dernières années. » (p. 18)

Signé par Hélène Tisset, auteure et médecin de Haute-Savoie, La Recrue est le premier tome de la saga de Marco Liebor. Le roman d’aventures raconte l’histoire d’un petit garçon d’environ huit ans, retrouvé meurtri parmi les poubelles d’un hôpital. Une fois guéri, il ne parle pas : personne ne vient le récupérer et il est impossible de l’identifier ou de retrouver sa famille. Les services sociaux lui attribuent une date d’anniversaire au hasard, ainsi qu’un nom : Marco Liebor. Il est déposé à l’orphelinat du Sacramento, et le véritable calvaire commence, car au-delà de la cruauté des autres pensionnaires, l’établissement cache derrière sa cuisine des machinations plus odieuses encore. Les horreurs de ce nouveau monde, Marco les affrontera armé de son intellect hors-norme et des amitiés qu’il noue au cours de son enfance.

« “Tout le monde a besoin de quelqu’un sur qui compter, qu’il peut respecter et aimer.” La remarque lui vint à l’esprit naturellement, et il avait conscience qu’elle ne venait pas de lui. Mais il fut incapable de se rappeler d’où il la tirait. Il savait seulement que c’était vrai. » (p. 38)

« L’ensemble des enfants se leva. Les filles ouvrirent la porte. Les garçons, la vingtaine, entourèrent Marco. Il fut agrippé de toute part et traîné hors de leur salle. Ils le balancèrent dehors, dans la cour, sans même le frapper. La violence de ce rejet commun était cependant pire que les coups. Une seule chose empêcha Marco d’escalader la grille et de tenter sa chance dans les rues : Freddo était resté assis. » (p. 40)

L’écriture de Tisset est franche, tantôt simple, tantôt recherchée, et sa fluidité rend l’histoire de Marco agréable et captivante. Le sujet choisi est lourd, sa violence explicite. Mais la maîtrise de Tisset à compenser cette gravité est telle que la rudesse du récit est vite oubliée en faveur d’un besoin irrassasiable de continuer la lecture, d’en apprendre plus sur le destin des pensionnaires de l’orphelinat. Dire simplement que les personnages sont magnifiquement construits reviendrait à les minorer, tant le soin que Tisset a apporté à leur élaboration est exceptionnel : leur profonde humanité et leurs terribles souffrances laissent une empreinte permanente dans l’esprit, comme celles du petit Marco, en tout temps intrépide malgré les périls incessants.

Eric Senger

Référence :

Hélène Tisset, La Recrue, Cousu Mouche, 2022, 320 p.

Photo : © Eric Senger

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