La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 29

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 29 : Une histoire de carotte…

Archives d’État de Genève, rue de l’Hôtel-de-Ville 1.

Le 11 décembre, 23h49.

En attendant dans la rue, dissimulée derrière une des colonnades de l’Ancien-Arsenal, Miss Apfel se demande une fois encore si elle a fait le bon choix. Dans la poche de son manteau d’hiver, elle serre le téléphone sur lequel elle vient de taper un message fébrile, à l’attention de sa nièce :

Suis o Archives d’État. Rej1-moi devant le + vite possible. G besoin d’aide.

Dans l’attente fébrile de la réponse (est-ce bien raisonnable d’embarquer Heidi dans une pareille affaire ?), Miss Apfel se remémore son étrange journée – sa venue aux Archives, l’icône en forme de carotte sur l’ordinateur du bureau de l’archiviste, la confrontation avec Cathy Piaget (heureusement que j’ai joué les andouilles !) et, plus encore… le pendentif en forme de carotte ! Elle doit en avoir le cœur net : il y a anguille sous roche dans cette histoire…

« Je vois des carottes partout depuis le début de cette enquête », murmure-t-elle pour elle-même, entre ses dents… « Fais gaffe, Simone, ça cache quelque chose, comme dirait Sigmund Freud… »

Le froid remonte des pavés, pour s’enrouler autour de ses chevilles chaussées comme à son habitude de chaussures à la fois sportives et confortables. Une fois n’est pas coutume, la Vieille-Ville est calme, en cette nuit du 11 au 12 décembre : face à l’enquête qui piétine et aux meurtres qui s’accumulent, les autorités genevoises ont décidé de suspendre les traditionnelles festivités de l’Escalade… de les suspendre, pas de les annuler, ce qui fait une énorme différence.

« Si Heidi et moi ne nous dépêchons pas de clore cette affaire, Genève fêtera l’Escalade en juillet prochain… », marmonne Miss Apfel. « En tout cas, j’espère que ce gros malin de Tabazan va mettre lui aussi les bouchées doubles… j’ai un peu l’impression de faire tout son travail… »

Puis elle repense aux carottes. C’est quand même sacrément étrange : des carottes en massepain sur les scènes de crime… un bijou en forme de carotte au cou de l’archiviste… Heidi qui rêve d’un joyau-carotte en tombant dans les pommes… une icône en forme de carotte sur le bureau de l’ordinateur… et cette histoire d’Adorateurs de l’Escalade…

« Je sens que je suis proche… mais de quoi ? » souffle Miss Apfel.

‘Bip.’ Le téléphone s’agite dans sa poche. C’est Heidi qui vient de répondre. Ok. Jariv. Parfait. On va bien voir ce qu’on va voir.

*

Boutique Canabirama, Carouge.

Un peu plus tôt dans la journée du 11 décembre.

C’est sans politesse ni douceur que l’inspecteur Tabazan pousse la porte de la minuscule boutique Canabirama, à Carouge. À son entrée, la porte tinte joyeusement et un panneau publicitaire extrêmement kitsch clignote pour annoncer à l’heureux visiteur « Bienvenue chez Canabirama, le paradis du cannabis… légal ! ». L’odeur prend l’inspecteur à la gorge, un mélange de CBD tout ce qu’il y a de plus inoffensif et de vieil encens soixante-huitard-sur-le-retour, agrémenté d’un remugle de sueur. Super.

Un instant, l’inspecteur se félicite de ne pas encore avoir mangé, malgré son estomac qui gronde. Le coup de téléphone surexcité de Géraldine Mercet l’a attrapé en plein pendant les sept minutes qu’il s’apprêtait à consacrer à son dîner (un sandwich thon-tomate-salade-mayonnaise, qui est resté l’attendre sur le siège passager de sa voiture). De la résine de cannabis dans les carottes en massepain ! s’est exclamée Géraldine au bout du fil. Si j’étais toi, Isaac, j’irais voir chez…

Voilà comment il a atterri chez Canabirama, au cœur de Carouge, le point névralgique de la vente de cannabis légal, à Genève (quant au cannabis illégal, c’est une autre histoire, mais l’inspecteur Tabazan a évidemment ses entrées et ses indics, qui lui assurent que ce qui se passe sous le manteau et loin des regards des représentants de l’ordre n’est pas très très reluisant…). Ce n’est pas la première fois qu’il a à traiter avec Canabirama – c’est la première, en revanche, qu’il tombe sur le nouveau patron. Parfait, j’aurais l’avantage de l’incognito, se dit-il en s’avançant vers le comptoir.

« Vous désirez quelque chose ? », lui demande le nouveau patron, un quarantenaire bedonnant au fort accent vaudois, tenant un sécateur dans un main et un pot luxuriant dans l’autre. L’homme vient de sortir de l’arrière-boutique dans laquelle, visiblement, il s’adonnait à un peu de jardinage.

« Heu… oui », bredouille Tabazan, avec l’air de celui qui ne sait pas vraiment par où commencer (il est fier de ses talents d’acteur : trois ans de rôle principal dans la troupe du Collège, il y a bien longtemps). « Je suis intéressé par… ça », conclut-il en montrant de l’index un grand plat en céramique blanche, rempli à ras-bord d’appétissantes carottes en massepain.

« Ah, Monsieur est un fin connaisseur ! » s’exclame le Vaudois au sécateur, en délaissant son pot de chanvre sur le comptoir. « Ce sont nos dernières créations, tout droit sorties des mains expertes de notre pâtissier-confiseur. Il a voulu rendre hommage à la fête de l’Escalade, en fabriquant ces jolies et délicates carottes en massepain. Vous ne trouverez pas leurs pareilles ailleurs : ciselées à la main dans un mélange de sucre de canne, d’amandes bio finement moulues, de blanc d’œuf de poules élevées en plein air dans la campagne genevoise et de poudre de cannabis sativa, appelé aussi… »

« Bon, épargnez-moi vos déblatérations commerciales », l’interrompt Tabazan, qui a abandonné son masque de client naïf et agite sous le nez du patron sa plaque (ainsi que son plus beau sourire de policier). « Je suis l’inspecteur Tabazan, police criminelle. J’ai besoin de la liste de toutes les personnes à qui vous avez vendu ces carottes. »

Le Vaudois s’arrête en pleine diatribe – mais se reprend rapidement :

« Vous avez un mandat ? »

Non, évidemment – Tabazan n’a pas eu le temps de demander un mandat. Par contre, il a eu celui d’appeler deux ou trois de ses indics, dans le trajet en voiture qui l’a mené jusqu’ici. Il adresse au Vaudois un sourire contrit :

« Pas de mandat, non. »

« Dans ce cas… »

« Par contre, je suis certains que vous n’avez pas très envie que je revienne avec un mandat qui me permettrait de mettre le nez dans certaines plantations que vous entretenez du côté de Soral, pas vrai ? Ou que j’aille poser des questions un peu naïves à certaines de vos clientes régulières – vous savez, celles qui font du yoga au coin de la rue et qui ont… comment est-ce qu’on m’a dit ça, déjà ?… ah oui… besoin d’un petit truc pour calmer leurs nerfs… »

Les épaules du Vaudois s’affaissent – parfait, il est ferré. Tabazan est aux anges.

« C’est bon », grommelle le patron, « pas besoin d’être sarcastique, inspecteur. Qu’est-ce que vous voulez savoir ? »

« À qui avez-vous vendu ces carottes ? »

Les mains un peu tremblantes, le Vaudois extirpe de sous le comptoir un gros registre, qu’il se met à feuilleter fébrilement.

« Heu… hé bien, j’en ai vendu à ma cousine Aglaë… c’est elle qui élève les poules dont j’utilise les œufs pour le massepain. J’en ai aussi vendu à mon voisin Jean-Luc, pour l’anniversaire de sa grand-mère paternelle… et à Cathy, ma copine archiviste. Elle est même venue en acheter deux fois, bien qu’elle n’aime pas trop les sucreries – ce que j’ai trouvé assez bizarre. Mais elle m’a dit que c’était pour faire des cadeaux à certains de ses vieux amis… c’est une gentille fille, ça, c’est sûr. »

En bon limier genevois, Tabazan flaire la carotte pas nette :

« Cathy, vous dites ? Et elle a un nom de famille, cette Cathy ? »

Sylvie et Magali Bossi

La suite, c’est par ICI !
Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !

Photo : © Pexels

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