La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 32

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 32 : Un allié inattendu

Dans les tréfonds de Genève.

Le 12 décembre, 00h43.

…taque !

À peine Miss Apfel a-t-elle le temps d’achever mentalement son proverbe, que la lumière débaroule de l’intersection, juste à côté d’elle, accompagnée par la tête de Cathy Piaget et son rictus de psychopathe.

Ni une ni deux, dans un réflexe qu’elle ne saurait expliquer, l’archiviste à la retraite saute sur sa poursuivante, comme un chat de gouttière affamé sur une souris. La poursuivante n’a manifestement pas envisagé cette possibilité une seule seconde, car un masque de stupeur se plaque sur son visage à l’instant où elle aperçoit Miss Apfel et sa nièce. Cathy n’a pas la possibilité de se défendre, face au corps félin qui s’abat sur elle. Miss Apfel n’est plus toute jeune, mais sa pratique régulière de l’escalade et de diverses autres activités sportives l’ont maintenue alerte et tonique, comme Cathy Piaget s’en aperçoit très vite.

« BAM ! »

Les deux corps s’écrasent par terre, avec un son sourd et diffus indiquant qu’une épaisseur notable de boue a amorti la chute des deux lutteuses.

Joseph, qui suivait sa complice à grandes enjambées, n’a pas eu davantage l’opportunité de se préparer à ce coup de Trafalgar. Il trébuche lamentablement sur les corps qui viennent de choir à ses pieds, essayant tant bien que mal de se rattraper aux parois lisses du tunnel. Dans la confusion générale, les téléphones se retrouvent à terre, plongeant à nouveau le lieu dans une obscurité quasi-totale.

« Tue-les Joseph ! » hurle Cathy, allongée au sol, qui se débat toujours pour sortir de la ferme emprise de Miss Apfel. « Et utilise ton arme, idiot : personne ne va nous entendre, ici !!! »

« Diable, Cathy ! Je fais ce que je peux ! J’y vois rien, dans ce trou ! »

Paralysée par la peur, Heidi distingue à peine les trois combattants à côté d’elle. La silhouette la plus massive est en train de se relever maladroitement et entreprend de ramasser le téléphone toujours allumé, à moitié enseveli dans la boue.

« C’est fini pour toi, meurtrière ! » éructe Cathy, en tentant d’immobiliser Miss Apfel. « Je voulais te tuer la dernière, je voulais que tu les voies mourir les uns après les autres, lentement – et je t’aurais tuée la dernière, en apothéose, tu aurais été mon bouquet final ! Mais tant pis, tant pis ! Joseph, tue-la, maintenant, bon sang ! »

« Tu es sûre que tu ne veux pas qu’on tue d’abord cet escogriffe de Michel Grizouille ? Pas de regret Cathy ? La mise en scène est déjà prête… »

Heidi, toujours cachée par la pénombre des parois de pierre, aperçoit la grande silhouette de Joseph, debout, juste à côté d’elle… il ne l’a pas remarquée, concentré qu’il est sur les deux femmes qui s’écharpent par terre…dans la lumière du téléphone qu’il tient à nouveau dans sa main droite, elle voit sa main gauche aller chercher quelque chose derrière son dos…

Son arme !

Le sang d’Heidi ne fait qu’un tour, tout se bouscule dans sa tête, la peur est toujours là mais ne la paralyse plus, elle la galvanise, ses muscles se tendent, son cœur s’accélère et son corps bouge sans que sa tête ait le temps de lui en donner l’ordre, par pur instinct. De son côté, Joseph aperçoit du coin de l’œil la jeune fille, qui vient de sortir de sa léthargie et qui maintenant s’élance vers lui. Il sourit – du sourire de celui qui sait qu’il va donner deux corrections d’affilée. Une à une fillette agaçante et une autre à une vieille chouette un peu trop curieuse. D’une pierre deux coups ! Il arrête son bras qui s’apprêtait à saisir l’arme rangée dans la poche arrière de son pantalon, attendant que la fillette se décide.

Rage désespérée, folie furieuse, souvenirs réflexes de ces trois séances d’initiation au krav maga, force due à l’adrénaline ou puissance innée… Heidi ne saura jamais ce qui a conduit son poing, lancé avec une force dont elle ne soupçonnait pas l’existence, à atterrir en plein dans le plexus solaire de l’homme. Joseph tente d’esquiver – trop lent, trop mou. Le coup le cueille avec un bruit sourd et le stoppe net. Il s’affale, à genoux, les mains sur la poitrine, le souffle coupé dans un râle de douleur. Le téléphone tombe et la lumière se fait plus faible.

En se retournant, Heidi aperçoit que sa tante a perdu l’avantage et gît, inanimée, tandis que Cathy Piaget se relève. Non… non non non…

Brusquement, des mouvements dans son dos… là… là ! Elle se retourne et, portée par l’adrénaline, assène un nouveau coup de poing destructeur à Joseph. Prêt pour une autre salve, son corps pivote, stable sur ses deux pieds, le bras décrivant un grand arc de cercle, le buste accompagnant le mouvement pour lui donner davantage de puissance. Son poing percute sa cible qu’elle ne voit pas, dans l’obscurité du couloir.

« Craaaaac ! »

Sans voir où son poing a atterri, Heidi sent une différence avec le précédent impact : ses jointures serrées ont percuté une proéminence fragile, qui n’a pas tardé à céder– un nez.

« AARGGH !  Mais vous êtes cinglée !!! »

Cette voix ! Ce n’est pas… Malgré la douleur qui lui irradie de ses doigts, le timbre de la voix saute immédiatement à l’esprit d’Heidi : l’inspecteur Tabazan ! On est sauvées !

« Aidez-moi », souffle-t-elle, à bout. « Je crois que… ma tante… »

Une main sur son nez, l’inspecteur se relève et rejoint la jeune fille à côté de Miss Apfel, toujours inanimée. Il pose ses doigts sur son cou, vérifie le pouls et pousse un soupir de soulagement : « C’est bon, elle est juste dans les vapes ».

Puis, dans un geste synchrone, Heidi et Tabazan tournent la tête pour chercher les deux agresseurs : plus personne ! Cathy et Joseph ont fui dans l’obscurité, profitant de la diversion offerte par l’inspecteur.

« Même pas la peine d’essayer de les suivre là-dedans… » soupire Tabazan, avec un grognement.

*

Rue de Perron.

Le 12 décembre,01h40.

Les voici assis sur un banc.

Miss Apfel a repris connaissance. Ils ont le souffle court et jamais, plus jamais, ils ne souhaitent approcher de près ou de loin les secrets du Passage de Monetier. L’inspecteur est partagé entre agacement, mal de tête et excitation, tandis que son organisme doit traiter simultanément le stress généré par une enquête qui n’avance pas, les interférences des civils et les conséquences d’une bagarre dans les souterrains.

Il déglutit, bien décidé à reprendre la main sur cette nuit qui, décidément, n’a pas du tout pris la direction qu’il escomptait et déclare sèchement :

« Bon, je crois que cette fois, vous allez tout m’expliquer. TOUT, dans les moindres détails. Finies les querelles enfantines, on a failli y laisser notre peau tous autant que nous sommes. »

La voix d’Isaac ne tolère aucune réplique. Un instant plus tard, après avoir échangé un regard, Heidi et Miss Apfel se lancent dans un récit détaillé.

« … et voilà, vous savez tout sur ce que nous avons découvert, ces dernières 48h », achève Miss Apfel en soupirant.

« Hum… je vois », commence Tabazan en tenant contre son nez un mouchoir brodé à ses initiales, pour retenir l’écoulement du sang qui ne tarit pas (quelle force, cette gamine !). « Donc si je résume… vous avez trouvé par hasard un carnet mystérieux qui indiquait quelque chose d’étrange en lien avec le Passage de Monetier. Une fois sur place, vous avez découvert, encore par hasard, un tunnel secret qui – après un guidage au doigt mouillé à chaque intersection et des pérégrinations auxquelles je n’ai pas tout compris… mène au Musée d’Art et d’Histoire, et qui vous a conduit directement à un nouveau cadavre. Celui caché dans l’armure du pétardier. J’ai bien juste ? Ensuite, par un concours de circonstances absolument PHÉ-NO-MÉ-NAL, vous vous êtes introduites aux Archives d’État… et là, vous êtes tombées sur la seule personne AU MONDE qui n’a pas de mot de passe sur son ordinateur et qui laisse trainer sur son bureau des icônes en lien avec des sociétés secrètes. Cette personne étant, pour bien compléter le tableau, une archiviste psychopathe qui se promène avec un bijou en forme de carotte autour du coup et qui, excusez-moi d’être sceptique, appartient à une société secrète d’après vous ?! »

« C’est très résumé et légèrement simplifié, cher inspecteur, mais c’est à peu près ça », acquiesce Miss Apfel.

Palsambleu… la vieille chouette n’a même pas la politesse de paraître un peu gênée par l’énormité de ce qu’elle essaie de lui faire avaler.

« Eh bien », reprend Tabazan, « je ne sais pas si vous et votre nièce championne de boxe thaï êtes les investigatrices du siècle, ou si vous devriez jouer au loto… mais ce dont je suis sûr, c’est que si vous étiez restées bien sagement chez vous, à faire des tartes et des tisanes, mon nez serait encore intact et les cadavres moins nombreux », gronde Tabazan, sur le coup de la colère.

« Épargnez-moi vos relents machistes Isaac, ça ne nous fera pas avancer », rétorque Miss Apfel, agacée, même si au fond d’elle-même (et elle côtoie l’homme depuis assez longtemps pour s’en être forgée la conviction), elle sait que l’inspecteur est tout sauf sexiste.

Ce dernier s’apprête à répondre, puis se contente finalement d’un grommellement indistinct et bougon, refusant d’admettre tout haut ses torts. Par les temps qui courent, il ferait mieux de garder son flegme. Surtout avec cette folle furieuse à la puissance herculéenne, qui ne maîtrise pas sa force et distribue les coups de poing dans le nez. Il reprend :

« Bref. Admettons que ce que vous dites possède ne serait-ce qu’une once de vérité. Je ne vous cacherai pas que, de mon côté, j’ai moi-même eu mon lot de chance ces derniers temps – et ce n’était pas gagné. » Il soupire, puis change de sujet, sans se départir de son ton caustique :

« Et vous dites que cette tueuse (Cathy Piaget, donc ?) est archiviste ? Décidemment, il doit y avoir tout au plus une dizaine d’archivistes dans tout le canton de Genève… et l’une me colle aux basques tandis que l’autre menace de tuer la moitié de la ville ! Avouez que c’est un comble ! Je crois que je hais cette profession, en fait. Je vais peut-être toutes les mettre au mitard, par mesure de précaution… » dit l’inspecteur avec un une expression moqueuse qui fait sourire les deux femmes.

Les trois comparses laissent trainer un silence. La nuit a été très chargée – trop chargée. Ils ont besoin de reprendre leurs esprits, de dormir. Mais, tandis qu’une torpeur tranquille les envahit doucement, Heidi se lève d’un coup et s’écrie paniquée :

« Tata ! Tu te souviens ce qu’a dit le barbu ? Il a parlé d’une autre victime qu’ils avaient prévu de tuer avant toi ! Daniel Hizouille… ou quelque chose comme ça ! »

« Tu as raison Heidi ! Isaac, nous devons nous hâter. J’ai peur que les cadavres continuent de pleuvoir si nous n’arrêtons pas tout de suite ces deux-là… »

Arnaud Chiaradia

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Photo : © Arcaion

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