Et la Marmite se brisa : épisode 35
Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?
Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !
Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !
Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…
Alors, ça vous tente ?
Retrouvez le début du feuilleton ICI !
* * *
Épisode 35 : Traque dans les souterrains
Bourg de Four.
Le 12 décembre, 03h17.
Les renforts, eh bien justement, ils arrivent ! Faut quand même prendre le temps de s’organiser, de bleu. Le poste de police est en ébullition. De toutes parts surgissent des troupes de gendarmes, mandatées par Tabazan il y a de cela quelques dix-sept minutes à peine. Il a fallu à l’appointé Diego Lalimazse quelques secondes pour réaliser ce qu’il se tramait et se dépêcher d’intervenir. De garde, il regardait un match de football en rediffusion, avec deux collègues. Heureusement que l’appel est parvenu en pleine mi-temps, sinon il n’est pas certain qu’il aurait pu décrocher si vite.
« Allez, Diego, qu’est-ce que tu fabriques bon sang ça va reprendre bientôt ! Je suis certain que c’est encore un APVA[1]. Non ? »
« Réunion de crise les gars, c’était Tabazan ! »
Tous se sont raidis… avant de se retrouver prêts à partir en mission. Avec Tabazan, ça ne rigole pas. Lalimazse n’a cependant aucune idée de ce que c’est que ce « Passage de Monetier ». Il n’est pas vraiment d’ici ; il vient de France voisine, comme beaucoup de ses confrères et parfois, il est un peu lent à la détente. Il ne connaît pas toute la géographie du coin, ni de ses recoins, d’ailleurs, célèbres ou pas. Il tapote le nom du passage sur son moteur de recherche et tombe dessus. C’est vraiment tout proche du poste de police. Il n’y a pas une minute à perdre. Aux dires de l’inspecteur, cinq endroits stratégiques doivent être bloqués au plus vite, pour arrêter une femme qui était blessée vraisemblablement, et secourir Tabazan qui n’était pas seul. Une ambulance tous feux allumés arrive immédiatement de l’hôpital, et va directement se poster dans la rue Guillaume-Farel. C’est l’adjudant Alphonse Danltaz qui marche à leur rencontre et leur demande d’attendre avant d’en savoir plus. Il fait partie de l’équipe qui n’allait pas tarder à se poster à la rue du Perron. En tout et pour tout, il dépêche une trentaine d’hommes, dont une douzaine qui n’était pas de service cette nuit. Tabazan leur a envoyé une série de plans par téléphone, via l’application de la police « Laguigne », avec des instructions précises sur leur prise de poste en Vieille-Ville afin de boucler toutes les issues possibles.
« STOP –MISSION TABAZAN – ET LA MARMITE SE BRISA – 30 H /F – VIEILLE-VILLE :
POSTE 1 – PASSAGE DE MONETIER – RUE DU PERRON – 4 H/F
POSTE 2 – PASSAGE DE MONETIER – RUE DES BARRIERES– 3 H/F
POSTE 3 – 6-8 RUE FRANÇOIS LEFORT– 4 H/F
POSTE 4 –RUE FRANÇOIS BELLOT – 3 H/F
POSTE 5–RUE DE L’HOTEL-DE-VILLE 1 – 4 H/F
POSTE RENFORT A1– POSTE DU BOURG DE FOUR – 4 H/F
POSTE RENFORT B2– POSTE DU BOURG DE FOUR – 4 H/F
BON, C´EST PAS TOUT ÇA, ON ARRÊTE DE GROLLER, ET DESCENDONS DRÉ DANS LE PUITS, PUIS À L’ABADE. ROCANDER LA TORNIOLE AU TOYOTSE ![2]
Tabazan »
*
Dans les galeries souterraines.
Le 12 décembre, 03h20.
Elle connaît ce dédale de pierres humides comme sa poche. À se demander si elle n’est pas née dedans. L’odeur de moisi qui y règne remplit ses poumons d’une énergie redoutable, dont peu seraient capables de se nourrir. Ça ne la freine pas. Ça la porte. Elle se surpasse et ne veut pas lâcher maintenant. C’est la dernière ligne droite avant que tout ne se termine comme prévu. Il faut se battre jusqu’au bout, Cathy ! Les couloirs sont d’un noir d’encre. Aucune lumière ne se fraie un chemin, hormis les quelques septante bouches d’égout qui laissent filtrer, à intervalles réguliers, un halo faible. Il remplit ce souterrain absolument génial… puisque c’est le seul qui garantit une sortie hors de la Vieille-Ville et qui se connecte au réseau de l’Hôpital, à la rue Alcide-Jentzer.
Cathy est essoufflée, mais elle continue sa course. Elle y est presque. Son rythme est considérablement ralenti par sa blessure au flanc droit. C’est une grosse éraflure, au vu du débit important de sang qui s’écoule. Elle maintient une pression sur la plaie avec sa main gauche. Elle n’a trouvé que son foulard pour épancher le sang. Soudain, elle entend des sirènes et se raidit quelques secondes… puis c’est de nouveau le silence noir du monde d’en bas.
*
Dans les galeries souterraines.
Le 12 décembre, 03h22.
Pendant ce temps-là, Simone décide de rester dans le réduit souterrain, pour attendre l’arrivée des secours et surtout, analyser la scène de crime avant que toute l’équipe des bleus ne débarque avec leurs grandes chaussures. Heidi, choquée, n’en mène pas large. Elle s’est affalée dans un coin en attendant les renforts. Dans sa poche, sa tante lui a glissé un mot. Elle le lira lorsqu’elle sera tirée de ce trou à rats qui pue grave !
Difficile de mettre l’odeur de côté, mais c’est pour une bonne cause, se dit Miss Apfel. Elle fouille les poches du torturé. Vides. Un relent de vomi remplit l’espace exigu dans lequel elle se trouve. Elle prend une profonde inspiration et se met à chercher un indice, ou un élément quelconque pouvant lui permettre de savoir où se rend Cathy. Elle se rapproche du malheureux Gribouille et de son chyme formant un coloris hétérogène, dans lequel surnagent des morceaux qui n’ont vraisemblablement pas eu le temps d’être digérés… et remarque alors un bout de papier, semblable à une carte, tout près de feu Joseph. C’est une aubaine que Cathy ne l’ait pas aperçu avant de s’enfuir. Cela donne ainsi un précieux avantage sur l’itinéraire que l’archiviste va prendre.
« Wahou, mais c’est complètement dingue ce souterrain ! Il va jusqu’à l’Hôpital ! »
Au même moment, elle entend des voix et des sirènes qui se rapprochent. Ça doit être les renforts. Bigre, quel temps ils ont mis ! Il est plus que temps de repartir à la chasse.
Simone en profite pour se frayer un chemin à travers un renfoncement indiqué sur la carte qu’elle a trouvée, et prendre ainsi un raccourci – enfin, surtout un moyen de rattraper Cathy et de la prendre au dépourvu.
*
Dans les studios de la RTS.
Le 12 décembre, 04h00.
« Flash-info-express, Mesdames et Messieurs bonjour. Voici notre titre du jour, une violente fusillade a eu lieu dans des dédales de la Vieille-Ville, il y a un peu moins d’une heure. Deux morts sont à déplorer, sans que l’on connaisse les identités des victimes. La police mène l’enquête. Une femme est actuellement en fuite et est activement recherchée par les forces de l’ordre. Voici son portrait qui s’affiche sur vos écrans. Elle s’appelle Cathy Piaget et travaille aux Archives du canton de Genève. Elle est blessée. Toute personne l’ayant vue est priée de contacter au plus vite le poste de police, au numéro qui s’affiche également. Merci à toutes et tous pour votre geste citoyen. C’est la fin de ce flash-info-express. Merci pour votre écoute et votre engagement. »
*
HUG.
Le 12 décembre, 04h02.
Flavio, urgentiste à l’hôpital est en train de terminer un soin auprès d’un patient. La télévision est allumée. « Flash-info-express…une violente fusillade… deux morts…. Une femme… Cathy Piaget… blessée… »
Cathy Piaget… ce nom n’est pas inconnu de Flavio. Il lui dit quelque chose… Son père, Joseph, qui travaille au Café Remor, l’a mis en garde depuis longtemps face aux conséquences de son implication auprès d’une association secrète et des risques possibles qu’il encourait. Papa et son goût du risque ! Cela fait des années que Flavio a la boule au ventre.
Pour se rassurer, Flavio compose le numéro du paternel depuis le standard de l’étage où il travaille. Et attend. Ça sonne dans le vide, alors que d’ordinaire, Joseph, véritable oiseau de nuit insomniaque, répond immédiatement. Deux morts… Flavio a la tête qui tourne… et si… la tonalité du téléphone passe au répondeur, il raccroche. Deux morts… ça ne peut que vouloir dire… À présent, Flavio sait que c’est à lui de continuer à faire vivre la mémoire de son père, puisque Joseph, selon toute vraisemblance, n’est plus.
Il finit ce qu’il a à faire et sort de la chambre. Il prétexte un devoir urgent à remplir durant sa pause et prend congé de ses collègues, pour éviter les questions gênantes et le café tiède. Il se dirige à son casier, situé dans les sous-sols du bâtiment A. Arrivé à destination, il allume un téléphone portable longue portée et compose un message à l’attention d’une certaine Catia Thygep, présente dans la liste de ses contacts. Puis il appuie sur « Send ». Après cela, il efface toutes les traces de cet envoi et de ce contact de son téléphone, car c’est enfin le moment de mémoriser le numéro.
*
Dans les galeries souterraines.
Le 12 décembre, 04h31.
BIP… BIP… BIIIIP. En pleine sueur et totalement paniqué par la sonnerie de son bip, l’inspecteur Tabazan a bien failli se vautrer en plein sur une grosse déjection de Rattus norvegicus.
« Encore une crotte de rat brun bien fraîche ! », fulmine-t-il (il a une pensée fugitive pour sa petite sœur, qui a passé son enfance à entretenir secrètement un élevage de rongeurs, derrière le poulailler des parents). « Purée, mais c’est quoi encore ce truc qui sonne à tout va ! Là mais c’est vraiment pas le moment, bon sang ! On n’y voit pas l’ombre d’un primate à longues pattes, même à deux mètres ! »
Cela fait un sacré bon bout de temps qu’il marche dans le noir et vu qu’il n’est pas très à l’aise pour s’orienter spatialement sans lumière, il se demande s’il a bien fait de s’élancer comme un gros athlète, à corps perdu et surtout sans lumière, dans ce souterrain pas vraiment très agréable. Il sait néanmoins qu’il est sur la bonne voie, car il n’y a qu’une route pour l’instant… mais jusqu’à quand ? Est-ce que cette Cathy s’est cachée quelque part ? Est-ce qu’elle a d’autres gars avec elle ? Qu’est-ce qu’elle cherche ? Et Miss Apfel qui l’a laissé en plan ! Tant de questions qui restent sans réponse… puis soudain, il se rappelle qu’un message lui a été envoyé. Il tâte la pochette en cuir à sa ceinture et en lit le message qui le laisse pantois :
STOP Isaac !! Au prochain virage tourne à gauche !
Cela ne peut être que Simone Apfel. Personne d’autre ne l’appelle comme ça. Même pas sa femme qui a gardé l’accent du sud et qui l’appelle Isaache. La vieille chouette lui envoie des indications par sms et à distance, à présent… Bigre l’affaire se corse !
Muriel Kritter
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Photo : © aitoff
[1]Ndla : Appel Pour un Vol à l’Arraché.
[2] Ndlr : non, l’inspecteur Tabazan n’a pas de problèmes de dyslexie. En patois helvético-savoyard, son ultime phrase intime ses subordonnés à se bouger les fesses – plus ou moins poliment et en termes choisis. Ce qui pourrait se traduire comme suit : « Bon, c’est pas tout ça, on arrête de flâner et descendons tout droit dans le puits, puis toujours au loin. Demander la correction à l’idiot ! » Autant dire que les renforts auront du pain sur la planche pour saisir la chose…