La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 39

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 39 : course-poursuite à Genève

Quelque part à Genève, à la sortie d’un tunnel.

Le 12 décembre, 04h40.

Après quelques secondes de course dans une quasi-nuit, la pénombre se fait moins profonde et une vague lueur tombe du plafond poussiéreux du tunnel. Levant les yeux, Tabazan, Miss Apfel et le policier aperçoivent d’abord… une échelle – une échelle qui mène à une ouverture. Et tout en haut, un rond bleu foncé. L’inspecteur Tabazan sent son cœur accélérer. Le ciel, c’est le ciel ! Nous avons atteint la sortie ! Après quelques mètres d’ascension chancelante sur une échelle métalliques aux barreaux rongés par la rouille, ils sortent enfin à travers une bouche d’égout. Autour d’eux, un joli petit parc arborisé encore tout calme, mais déjà décoré pour les festivités de l’Escalade qui auront lieu dans quelques heures à peine. Et, devant eux, Cathy Piaget cavale toujours !

« Au nom de la loi, rendez-vous ! » s’écrie Tabazan, qui un instant, s’imagine être dans la peau d’un de ces héros sans peur qui ont peuplé son enfance.

Pour toute réponse, un coup de feu retentit et les trois compères n’ont que le temps de se plaquer à terre, la peur au ventre.

« Jamais ! » leur crie Cathy. « Plutôt mourir ! »

La voilà qui se rue sur une des nombreuses caisses à savon sagement rangées en rang d’oignons sur une pelouse du parc, en attendant la course qui doit avoir lieu dans l’après-midi. Elle grimpe sur cet improbable destrier… et dévale la pente, en direction de la Vieille-Ville.

« On fait quoi, chef ? »

« On fait la même chose qu’elle ! »

Prenant chacun une caisse à savon, Tabazan, Miss Apfel et le policier se retrouvent à bringuebaler sur le macadam pentu de la Promenade du Pin – qui dans une barque en bois, l’autre dans une voiturette en forme de carotte et le dernier dans un camion de pompier avec des clochettes carillonnant à qui mieux mieux. Une vraie équipée sauvage ! Ils suivent Cathy dans sa course folle. L’archiviste, de son côté, a opté pour une Maya l’Abeille en plastique. Passant en trombe le pont sur le Boulevard Helvétique, ils descendent à toute allure la rue Etienne Dumont (anciennement Rue des Belles Filles), laissant à leur gauche la Rue Tabazan (un ancêtre de notre Tabazan, mais qui, lui, était bourreau et non inspecteur…). Puis, c’est au tour de la rue Chausse-Coq de les voir filer, comme quatre éclairs colorés dans la nuit. Ils déboulent sur le Bourg de Four, effrayant quelques pigeons paisiblement endormis sur la fontaine. Cathy fonce toujours, dans son abeille qui semble meilleure que les caisses à savon de ses poursuivants, puisque l’écart se creuse entre eux peu à peu.

Ils foncent, ils foncent, ils foncent… devant le poste de police (encore éteint), devant le Palais de Justice (pas encore éclairé), contournent l’Église luthérienne, passent par la Rue Verdaine. La pente leur faire prendre davantage de vitesse. Tabazan et Miss Apfel se surprennent à faire la course, un léger sourire aux lèvres, distançant le camion de pompiers carillonnant. Mais Cathy Piaget est toujours loin devant. Puis ils passent par la Rue de la Tour-Maîtresse, pour finir par se planter – au sens littéral du terme – dans la Rue du Rhône. Un peu groggy, surtout après que le camion de pompier se soit encastré dans la carotte, elle-même plantée dans la barque de pêcheur, Isaac Tabazan, Simone Apfel et le policier s’extraient péniblement de leurs épaves…

…et voient Cathy Piaget qui s’enfuit à vélo.

Vite, ils se saisissent eux aussi de quelques vieux cycles rouillés et non cadenassés qui traînaient par là (et que la voirie n’a pas encore emportés) et se ruent à sa poursuite, dans une cacophonie de crissements et de grincements : sur de pareils engins, les rouages n’ont pas été graissés depuis longtemps… Ils contournent l’hôtel métropole et traversent dangereusement, à travers la circulation naissante de l’aube, le Quai du Général Guisan, pour se retrouver dans le Jardin Anglais. Ils ne voient plus Cathy Piaget… où est-elle, nom d’un chien ?!

Se séparant, chacun suit un chemin différent entre les arbres, se croisant parfois, s’éloignant, cherchant discrètement la fugitive dans le parc. Lorsque, soudain….

Nnnuikk… nuiiiiikk… nuuuuikk… nnnuuuiiikk

Un grincement métallique les fait sursauter et se retourner d’un bloc : là-bas, émergeant d’un buisson de lilas des Indes, surgit Cathy Piaget, pédalant comme une forcenée sur un vieux vélo militaire d’ordonnance type 05 Condor, joliment rouillé et tout brinquebalant. Immédiatement, nos trois compères enfourchent leurs vieilles montures et s’élancent à sa poursuite, dans une symphonie de pédales. Ils traversent la pelouse humide soigneusement tondue, y labourant de profonds sillons, et atteignent enfin l’extrémité du Jardin Anglais. Cathy a déjà abandonné sa bécane et sauté dans un des hors-bords en bas du quai. Par chance, la clé est sur le tableau de bord. Elle démarre en trombe, s’éloignant de la jetée – mais stoppe net, retenue à 5 mètres par l’amarre qu’elle a omis de dénouer. Les trois arrivent enfin en bord de quai.

« On fait quoi chef ? On plonge pour la récupérer ? »

Un coup de feu l’interrompt, les arrêtant net dans et les forçant à se protéger derrière des poubelles ou des barrières.

« Vous ne m’aurez pas vivante ! » éructe Cathy, qui les tient toujours en joue tout en essayant de dénouer le cordage qui résiste.

« Cherchez-moi vite un bateau qu’on puisse allumer, nom de bleu ! » hurle Tabazan à l’attention du policier. « Non, pas celui-ci, bougre d’imbécile ! C’est un pédalo !!! »

« Inspecteur ! Venez, VITE ! » crie Miss Apfel. D’un saut leste, elle a grimpé sur un second hors-bord et détaché rapidement le nœud de cabestan qui retenait le bateau. Tabazan et le policier sautent à bord, ayant à peine le temps d’être estomaqués par sa vivacité d’esprit (« Mais comment avez-vous fait pour l’allumer sans clé de contact ?! »). Sans s’expliquer, car ce n’est pas vraiment le moment, Miss Apfel manœuvre avec habileté pour s’éloigner à la poursuite du canot que Cathy Piaget a enfin réussi à libérer.

Dans un mouchoir de poche, les deux bateaux contournent le bateau Genève, Miss Apfel se rapprochant rapidement de l’autre embarcation qui, heureusement est moins rapide. Elle finit par lui rentrer dedans, le faisant virer de son erre, sous les cris horrifiés de Tabazan et du policier qui regrettent presque d’être dans cette galère.

« Je vais te détruire, espèce de folle ! » crache Cathy, les yeux exorbités.

« C’est moi qui t’aurai, garce ! »

Miss Apfel est méconnaissable ; Tabazan ne reconnaît plus la charmante vieille dame qui l’agace depuis le début de cette affaire. Dans un recoin de son esprit (un des rares qui n’est pas obnubilé par l’adrénaline de la course-poursuite), il prend note mentalement de ne plus jamais contrarier les personnes âgées…

Utilisant toute la puissance de son bateau, Simone pousse violemment le canot de Cathy contre la jetée des Eaux-Vives, l’écrasant sur les rebords tranchants des blocs de pierre qui ceinturent le phare. Les deux bateaux, encastrés l’un dans l’autre, commencent à faire eau et Cathy Piaget grimpe rapidement sur la jetée, suivie de Simone qui bondit comme une lionne. Tabazan et le policier, coincés dans le hors-bord à moitié démoli, peinent à s’extraire de l’amas de planches. Quelques mètres plus loin, Miss Apfel finit par rattraper Cathy Piaget, affaiblie par sa blessure au côté. Elles s’écharpent, se griffent, roulent à terre au pied de la tuyère de 16cm d’où sort, par beau temps, le célèbre Jet d’Eau de Genève.

Heureusement, il n’est pas encore allumé en ce petit matin de décembre…

Profitant d’un vilain coup en traître à l’entre-jambe, Cathy prend le dessus sur Simone, essayant de l’écraser sur la tuyère qui lui fait un mal de chien dans le creux du dos. Miss Apfel, néanmoins, lui rend coup pour coup, parvenant à ficher un méchant coup de poing dans la blessure de l’archiviste. C’est à présent Cathy qui se retrouve couchée sur la tuyère…

Tabazan et le policier arrivent en courant, essoufflés et dégoulinants.

« C’est fini, Cathy. Haut les mains ! »

*

À quelques mètres de là.

Le 12 décembre, 04h58.

Dans la petite cabane qui sert d’abri aux gardiens du Jet d’Eau, une main d’homme portant un tatouage en forme de clef et d’aigle enfonce un bouton d’allumage. Un grondement sourd monte des profondeurs, annonciateur de…

*

Jetée des Eaux-Vives.

Le 12 décembre, 04h59.

Miss Apfel et les deux policiers n’ont que le temps de se jeter en arrière, alertés par le bruit ronflant : Cathy Piaget est brutalement projetée en l’air par un puissant jet d’eau – 500 litres par seconde ! Elle monte et monte encore, transportée à 200km/heure jusqu’à une hauteur de 140 mètres ! Puis, après un temps qui semble interminable mais qui ne dure en réalité que 16 secondes, elle retombe comme un bloc dans le Léman…

Miss Apfel, Tabazan et le policier, trempés jusqu’aux os, se redressent péniblement.

« C’est… c’est fini ? » bredouille le policier.

« Il semblerait », murmure Miss Apfel.

Des yeux, ils cherchent le corps de Cathy, qui devrait flotter à proximité.

« Là ! »

Simone pointe du doigt un rocher qui émerge de l’eau – une des deux Pierres du Niton amenées selon la légende par Gargantua, ou plus vraisemblablement, par le glacier du Rhône il y a quelques milliers d’années… Et sur ce rocher, comme un vieux jouet brisé, se trouve un corps immobile, désarticulé… c’est Cathy Piaget.

Et toute vie l’a visiblement quittée.

Épuisés par cette course folle, les trois compères restent immobiles, silencieux et sonnés, au bord de l’eau. Leur ennemie est enfin vaincue.

« Oui, c’est enfin terminé, je pense » murmure Tabazan, comme pour lui-même. « Mais il y a tant de questions encore ouvertes, qui ne trouveront peut-être pas de réponses… »

Miss Apfel, fouillant subitement dans sa poche, en sort la clé USB subtilisée aux archives. Elle la lui tend :

« Vous trouverez sans doute une bonne partie de ces réponses là-dedans, inspecteur. Enfin, je l’espère. »

Tabazan l’empoche, mais, avant qu’il ait eu le temps de répondre…

« Tiens ! C’est quoi ça ? »

Le policier se penche sur une tache orange, juste à leurs pieds. Ils regardent plus attentivement et aperçoivent, dans une flaque d’eau, une carotte en pierre précieuse orangée, avec une petite feuille vert émeraude…

Sylvie Bossi

(avec la collaboration de Magali Bossi)

La suite, c’est par ICI !

Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !

Photo : © RobbyFo

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