Et la Marmite se brisa : épisode 40
Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?
Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !
Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !
Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…
Alors, ça vous tente ?
Retrouvez le début du feuilleton ICI !
* * *
Épisode 40 : le mot de la fin
Repère secret de l’Ordre des Adorateurs de l’Escalade.
Le 12 décembre, 06h18.
« Mes frères, mes sœurs, nous venons d’apprendre que Cathy Piaget, notre précédente Grand Maître, a perdu la vie ce matin très tôt suite à… hum… à l’allumage providentiel du Jet d’Eau de Genève. Vous n’ignorez pas, j’en suis sûr, que Cathy était la fille de feu le Grand Maître Franck Burnier – fille à qui, d’ailleurs, il avait légué son héritage. Hélas, mes frères, mes sœurs !… que n’a-t-il pas été plus éclairé ? Assoiffée par son désir de vengeance, aveuglée par une histoire familiale tragique, Cathy Piaget a progressivement perdu tout sens commun, entraînant malheureusement avec elle quelques-uns de nos membres les plus émérites – dont notre regretté Joseph. Il était donc devenu urgent d’arrêter cette escalade de violence. En tant que nouveau Grand Maître par intérim, je voudrais donc adresser mes plus vifs remerciements, au nom de l’ensemble de l’Ordre, à notre jeune frère Flavio, dont la présence d’esprit a permis d’arrêter Cathy. Sans Flavio, qui a inopinément allumé le Jet d’Eau, j’ignore comment nous nous serions tirés de cette sombre affaire… »
Des approbations murmurées à mi-voix, un léger bravo et des sourires. Puis le silence revient et le Grand Maître par intérim reprend :
« Aussi, après cette longue période d’obscurantisme sous la houlette de Cathy Piaget, nous pouvons reprendre en toute quiétude nos activités habituelles – telles que l’organisation des futures fêtes de l’Escalade, en collaboration avec la Compagnie 1602. N’oublions pas non plus la réfection des cloches de la cathédrale Saint-Pierre, sur lesquelles veille notre frère Sonneur, ainsi que le nettoyage du site archéologique sous cette même cathédrale, qui a été fortement impacté et cochonné – osons les mots – par les agissements de la dame Piaget. »
Nouvelles approbations, bruits de bouteilles qui se débouchent et odeurs de croissants frais. La Grand Maître par intérim conclut :
« Je déclare ainsi cette Assemblée Générale terminée et je remercie d’ores et déjà Sœur Géraldine, Sœur Tatiana, Sœur Irma et Frère Tristan, qui nous ont préparé un somptueux verre de l’amitié ! Le jour est encore jeune, mais prenons des forces : aujourd’hui, nous célébrons l’Escalade ! »
Dans un brouhaha ambiant qui tient à la fois du petit-déjeuner et de l’apéro bien mérité, Jean Royaume descend de l’estrade du Grand Maître et rassemble ses papiers. Un sourire aux lèvres, il rejoint la table des agapes pour se verser un bon verre de blanc de Dardagny.
Après, et après seulement, promis, il ira voir François à l’hôpital.
*
Buvette des Bains des Pâquis.
Le 12 décembre, 6h32.
« Alors si je comprends bien », articule lentement Heidi, assise à une table de la buvette des Bains des Pâquis, « vous avez poursuivi Cathy Piaget en caisses à savon et hors-bords… et vous avez fini par la coincer ? »
« Exactement ! » s’exclame sa tante d’un ton enthousiaste, un morceau de croissant dans une main, un capuccino dans l’autre.
Les cygnes et les canards se réveillent lentement, dérangés par cette petite troupe qui discute à qui mieux-mieux. L’inspecteur Tabazan a joué de son insigne pour qu’une serveuse au regard fatigué ouvre plus tôt la buvette et leur prépare un copieux (et mérité) petit-déjeuner.
« Et toi, alors ? Comment nous as-tu retrouvés ? » demande Simone à sa nièce.
« Oh, vous n’étiez pas difficiles à pister : j’ai suivi les traces de pneus que vos montures ont laissé un peu partout… et après, il suffisait de viser les sirènes des voitures de police. Quand j’ai vu que je ne pouvais pas être utile dans les souterrains, je me suis dit qu’il fallait que je vous rejoigne… »
« Et François Loiseau ? » interroge l’inspecteur en mordant férocement dans un pain au chocolat.
« Aux HUG. Les ambulanciers ont été très efficaces : on l’a monté au bloc quinze minutes à peine après sa blessure. À ce que m’ont dit vos hommes, inspecteur, il va s’en sortir. »
« J’espère bien », grommelle Tabazan en avalant son expresso noir. « J’ai encore des tas de questions à lui poser… »
Il farfouine dans sa poche, jusqu’à en extirper la clef USB que Miss Apfel lui a remise un peu plus tôt. Il la pose sur la table, à côté de la carotte en pierre précieuse.
« En attendant, les réponses se trouvent peut-être là-dedans. Attendez-moi là, je vais voir si un de mes gars n’a pas un ordinateur portable – peut-être qu’on pourra prendre un peu d’avance et suivre la piste tant qu’elle est encore chaude… »
Tabazan s’éloigne, suivi du policier, tandis que Miss Apfel et Heidi se lèvent pour chercher de nouvelles boissons chaudes à la buvette. Profitant de ce mouvement de foule, une mouette opportuniste atterrit sur la table, dans l’espoir de grappiller quelques miettes (ou, encore mieux, un petit pain laissé sans défense). Mais lorsque Tabazan revient, un ordinateur portable sous le bras, bientôt suivi par Miss Apfel, Heidi et une corbeille de croissants…
« MAIS… qu’est-ce que… ?! La clef ? Où est cette SATANÉE CLEF ? » s’écrie Tabazan, furibard, cherchant des yeux le précieux sésame.
« Calmez-vous, inspecteur », fait Miss Apfel avec raison. « Elle ne doit pas être… »
« Que je me calme… QUE JE ME CALME ?! Cette clef était notre dernier espoir de clore enfin cette affaire, à présent que la principale coupable est morte ! Vous la voyez quelque part, vous ? Non, NON ! NI sur la table, ni en dessous, ni… »
Un cri moqueur de mouette interrompt sa diatribe. Au même moment, la serveuse de la buvette (qui sait sentir quand ses clients ont eu une mauvaise nuit), s’approche avec un plateau, des assiettes, des fourchettes, du pain frais, une bouteille de blanc… et un caquelon fumant :
« Une fondue, ça vous tente ? Vous me semblez en avoir bien besoin. »
Tabazan s’apprête à répliquer, lorsque Miss Apfel, pragmatique comme toujours, l’arrête d’un geste :
« Laissez, inspecteur. Certaines affaires ne sont pas appelées à recevoir toutes les réponses, vous savez ? Il faut savoir conserver une part de mystère. Au pire, vous pourrez toujours interroger François Loiseau – ou son frère, Jean Royaume. En attendant, une délicieuse fondue nous attend. »
Et elle plonge sa fourchette dans le caquelon.
« Au fait », ajoute-t-elle en brassant le fromage avec des petits huit méthodiques, « je ne vous ai jamais raconté comme Heidi et moi nous avons résolu le Crime du Fondue-Express ? Ça, c’est une enquête qui ne manquait pas de piquant… »
Sylvie et Magali Bossi
Notre prochain récit participatif commencera cet hiver…
En attendant, pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !
Photo : © anncapictures