Geste : Pédaler, se libérer
Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !
La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !
Aujourd’hui, c’est Lola Besson qui prend la plume. Elle vous invite à (re)découvrir un geste qui va vous faire voyager : pédaler. Bonne lecture !
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Pédaler, se libérer
L’atmosphère de la maison était lourde, trop lourde pour Barbara. Elle voulait s’en aller, s’échapper de cet étau qui se resserrait un peu plus chaque jour sur elle et qui l’oppressait. Elle était fatiguée des histoires qui se répétaient et de ses angoisses latentes. Elle était fatiguée d’affronter cette vie. Alors, elle décida de partir voyager. Ses proches en étaient si tristes, néanmoins ils comprenaient ce choix. Ils avaient tout essayé, mais en vain ; ses souffrances engloutissaient les plaisirs de la vie. Elle avait une destination en tête, lointaine et floue, mais au fond peu importait, elle était déterminée à partir. Téméraire et sportive, elle grimpa, sans aucune hésitation, sur son vélo bleu. Barbara avait un certain âge, mais pour pédaler, elle était capable de donner toute son énergie. Pédaler faisait partie du quotidien de Barbara, elle pédalait comme elle respirait. Ainsi, prendre son envol avec son vélo bleu fut pour elle une évidence.
Elle ne craignait pas la vitesse, au contraire celle-ci lui plaisait. Pédaler lentement l’ennuyait, alors elle donna constamment du rythme à ses impulsions. Celles-ci partaient des genoux. Ensuite, elle déployait ses jambes en appuyant sur les pédales avec la pointe de ses pieds et enfin elle inclinait ses talons vers le sol pour terminer le cercle qu’elle dessinait à chaque coup de pédales. Les ligaments de ses genoux se contractaient, puis se relâchaient. Les ligaments de ses chevilles travaillaient eux aussi. Pédaler était un geste si simple, mais à la fois si plaisant. Un geste continuel. Un geste libérateur aussi. Elle voulait atteindre rapidement sa destination, alors elle appuyait fort sur les pédales. Ses pieds épousaient les pédales, c’était comme s’ils ne s’en décolleraient jamais. Sa taille et son bassin étaient fixes, elle regardait droit devant elle. Ses hanches de titane qui, souvent, l’embêtaient, ne lui causaient pas de douleur. L’horizon était lumineux, son voyage s’annonçait harmonieux.
Barbara avait toujours adoré les voyages, mais celui-ci était insolite. Son visage, crispé au départ, se détendait au fur et à mesure qu’elle pédalait. Quant à ses mains, elles ne lui servaient qu’à tenir le guidon, car freiner ne l’intéressait pas. Parfois même, elle lâchait le guidon et se laissait mener par la bise. Dans les rares montées, elle sentaient ses muscles ischio-jambiers ainsi que ses mollets travailler davantage. Elle aimait ces sensations. Cela faisait longtemps qu’elle songeait à ce voyage, elle avait deux désirs profonds : partir pour retrouver la paix dans son âme, partir pour retrouver ses deux sœurs. La décision avait été très difficile et son choix mûrement réfléchi. Barbara actionnait les pédales de manière mécanique, régulière, sa vitesse était constante, puisque la route et les chemins qu’elle rencontrait, étaient paisibles. Pédaler sans jamais s’arrêter. Lâcher les freins. Voilà ce que Barbara désirait ! Assez rapidement, un sentiment de paix l’envahit. Barbara était en roue libre.
Lola Besson
Photo : © cocoparisienne