L’écriture qui pousse #5 : Minou et Minette
Bienvenue dans L’écriture qui pousse ! Aujourd’hui, vous allez découvrir un des textes produits dans le cadre de nos défis littéraires. Le défi du mois de janvier 2021 portait le titre suivant : « Devant un feu… ». L’idée ? Imaginer une histoire qui commence par « Je suis devant un feu et… », puis en inventer la suite !
Dans ce texte, Magali Bossi vous parle de feu et… de chats, surtout de chats !
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Minou et Minette
Cette histoire est dédiée à tous les chats.
Et tous les détectives.
Je suis devant un feu – et tout est calme dans la maison.
La première chose qui tire Minou et Minette de la torpeur bienheureuse dans laquelle ils se sont blottis avec délice, c’est le crépitement du bois qui flambe. Dehors, l’hiver souffle tout ce que ses poumons de glace ont à offrir de bise et de givre. Il couvre le village d’éternuements qui font tomber la neige en bourrasques, avant de dévaler les rues où se pressent les badauds. Il s’amuse à décoiffer les belles qui portent châle moelleux et capuchon doublé, et décorne les cocus à qui elles donnent le bras. Dans la nuit sombre, les premiers coups viennent de sonner au clocher, tandis que tremblotent, entre les nuages, quelques rares étoiles cristallines.
Minuit est là, avec sa messe et ses chants – il s’agirait de ne pas le faire attendre.
Minou et Minette, eux, n’y pensent pas. Que la plèbe villageoise se presse donc dans les rues ! Qu’elle s’esquinte les chevilles et les genoux, à patauger dans la neige traîtresse, à glisser sur le verglas félon ! Qu’elle attrape la mort ou même pire, à mettre le nez dehors au milieu de la nuit ! Eux préfèrent demeurer bien au chaud, à l’abri du logis tant aimé. La Noël des humains ne les concerne pas.
À l’intérieur, ça sent les oranges, la cannelle et le lait tiède. J’aime bien cette atmosphère de fête, ça me change un peu de mon ordinaire. La chaleur m’ébouriffe le poil et les bois, mais c’est bien agréable. Depuis le manteau de la cheminée, j’ai une vue imprenable sur le petit salon. Il y a des biscuits dans une soucoupe posée sur un napperon et un plaid moelleux, cousu de mille et un carrés chamarrés, sur lequel ils se prélassent. Minette s’étire en baillant, avant de se lécher une patte, pendant que Minou se gratte consciencieusement l’oreille.
Il leur faut un instant pour se rappeler le crépitement du feu et sauter de leur perchoir confortable, dans un même mouvement souple. Ils traversent le salon en trottinant. À l’autre bout, l’âtre rougeoie comme la gueule d’un gros dragon. Minou et Minette aiment beaucoup la cheminée : elle est petite et ramassée, à l’image de la maison – d’une modestie et d’un confort tout anglais, avec son entourage de briques rouges et la plaque de marbre juste devant, sur laquelle il fait bon s’étendre pour se réchauffer, quand les flammes sont éteintes et que seules les braises rougeoient. Quand ils s’y installent, je les couve du regard, comme un gardien qui veille en surplomb sur leurs rêves paresseux.
Tiens, c’est drôle ! se disent Minou et Minette en arrivant vers le feu. Le fauteuil de leur maîtresse, cette vieille fille qui adore les gratouiller derrière les oreilles et leur ramener des sardines du marché (quand ce n’est pas un bout de jambon) – le fauteuil, donc, est vide. La vieille dame serait-elle allée chercher des bûches ? Sur le guéridon refroidissent deux verres de vin chaud – dont un est encore presque plein. Le neveu de leur maîtresse a dû prendre congé de bonne heure, après être venu (comme chaque année) porter ses vœux et ses doléances à la tante sans héritier, avant de repartir avec un chèque bien serré dans son gilet. Le pauvre garçon n’a jamais eu de chance au jeu…
Voilà à quoi songent Minou et Minette, en sautant sur le fauteuil encore chaud de leur maîtresse, pour se blottir à cette place de choix où, d’ordinaire, ils n’ont pas le droit d’aller. Profitez bien, petits malins ; je fermerai mes yeux de verre sur vos bêtises et je ne cafterai rien, promis.
S’ils étaient enquêteurs, dans une de ces séries britanniques qui passent à l’heure du sacro-saint tea time et qui fleurent bon les scones à la marmelade, ils s’interrogeraient sans doute sur la porte d’entrée qu’un invité indélicat, dans sa fuite précipitée, a laissée entrouverte… ou sur le papier qui se consume à grande vitesse dans les flammes et sur lequel on peut encore lire « Testam »… ou encore, sur le cadavre sanglant et le chandelier d’argent qui reposent au sol, derrière le fauteuil où ils s’endorment.
Malheureusement, Minou et Minette n’ont rien d’un Hercule Poirot – ou d’une Miss Marple. Et moi, pauvre tête d’élan, je me contente de trôner sans rien dire à la place qui m’est due, au-dessus de la cheminée…
Magali Bossi
Photo : © perfectdaysphotography