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Lexique autobiographique : Autoportrait narratif

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, place à un « lexique autobiographique » : Élise Vonaesch vous propose de plonger dans son univers, au fil des mots qui, selon elle, la définissent le mieux…

* * *

Qui suis-je ? Qui est-elle ?

Bougie : J’ai reçu une bougie de baptême il y a trois ans. Elle n’a brûlé que trois jours. Sa mèche tordue ne fait fondre qu’un côté de la cire blanche, poussiéreuse depuis. Mais la cire ne coule pas encore le long du cylindre. Elle reste au centre, au chaud, près de la flamme qu’elle étouffe et noie dans sa cire liquide et chaude, l’englobe jusqu’à la fumée quand il ne reste que la mèche consumée.

Miel : L’autre jour, au marché, un apiculteur a étalé sa maigre marchandise sur deux pauvres bouts de bois assemblés. Il était dans un coin, caché par les stands immensément longs qui font un chiffre faramineux à la fin de la journée. Mais le sien, non. Non, car son miel à lui est exceptionnel, car il n’existe nulle part ailleurs.

Son miel luisant coule comme les larmes au soleil : il ressort de la bouche, dégouline le long de la gorge. Il laisse sur le cou une marque collante, irrésistible. Il ressemble à un souvenir qui s’accroche à la peau, hante l’esprit et le tire en arrière comme une chaîne du passé.

Nuit noire : Elle aura un enfant quand elle en aura vraiment envie. Ce bébé qui détruit les nuits, occupe toutes les journées. Elle a été cette enfant très demandeuse. Ça a commencé avec les cauchemars, la peur du noir, celle de dormir. Elle croyait sans cesse que quelqu’un était dans sa chambre et qu’il allait surgir à tout moment. Sa mère venait dans son lit jusqu’à ce qu’elle s’endorme et elle se réveillait trente minutes plus tard. Et après ça, c’était elle qui tombait malade chaque nuit, et son père qui la regardait vomir tout ce qu’elle avait mangé durant la journée, avant de la consoler et de changer les draps.

Plaine : Une silhouette court dans la plaine, un tissu tendu au bout des bras écartés en forme de croix. De longs cheveux brillants se balancent de tous les côtés, battant le dos nu et les omoplates claires. Une longue jupe dessine la courbe de ses hanches sans résister au vent qui gonfle le tissu autour des jambes agitées. Le devant de sa robe est plaqué contre sa poitrine, la dessine maladroitement. La silhouette court et s’envolerait si ses bras drapés devenaient des ailes.

Poupée russe : Leur vie était comme une poupée russe. Elles se sont connues femmes, très grandes et hissées par la glorification ; le menton on ne peut plus relevé, avec un air continûment hautain. Puis on s’aperçoit, petit à petit, qu’elles se déboîtent et que, plus on creuse en profondeur, plus ce qu’elles abritent est petit et fragile, précieux et intouchable, qu’elles avaient prévu de ne jamais dévoiler cette facette de leur humanité, et que ces couches de protection ne sont que fines couches de bois à la fois frangibles et superficielles.

Prunelles : Elle avait des yeux bruns tirant sur le vert au soleil ; des yeux qui reflétaient les champs des vignes. Ils tournaient la tête dès que brillaient violemment les épis de blé, à les en aveugler. Mais ils s’y font. Doucement. Ils s’ouvrent à la vie comme ils s’ouvrent au soleil. Yeux qui brillent de larmes, aveuglés par les champs de blé. Mais les pupilles sont abîmées, depuis. Elles ne brillent plus que par le reflet des lunettes. Il ne reste de vert que celui des vignes bientôt jaunies par l’automne. Des vignes qui, bientôt, donneront du vin sombre comme ses cheveux.

Sable chaud : La plage est déserte. Il fait nuit. Un vent léger agite la première couche de sable. On entend le bruit des vagues et les échos de la ville, plus loin. Une femme arrive. Elle porte des vêtements amples, qui se gonflent de vent. Elle regarde sa montre, puis la mer. Elle ouvre alors son sac à main et en sort un sachet, qu’elle vide sur le sable. Quatre ou cinq savons achetés au magasin de la ville d’à côté gisent devant elle. Ils sont de parfums différents. Verveine, fruits rouges, vanille, monoï… Elle ne parvient pas à lire. Alors elle en prend un au hasard, enlève sa robe et entre dans l’eau les pieds dans le sable mouillé qui, dès qu’elle sortira, s’accrochera à sa peau comme si la quitter allait la tuer.

Élise Vonaesch

Ce texte est tiré de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey. 

Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

Photo : ©LNLNLN

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