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Lexique autobiographique : Dictionnaire personnel non-exhaustif

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, place à un « lexique autobiographique » : Andreu Gesti vous propose de plonger dans son univers, au fil des mots qui, selon elle, la définissent le mieux…

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Dictionnaire personnel non-exhaustif

Âge : convention sociale instaurée pour des raisons purement bureaucratiques.

Capitalisme : déformation de l’adjectif « apocalyptique » de la manière suivante : apocalyptique ; apocapitalitique ; apocapitalisme ; capitalisme.

Certitude : a pour but d’apaiser l’angoisse existentielle de l’être humain en ses premiers jours de vie. Concept fallacieux qui est enseigné aux enfants.

Compétition : rapport humain dépourvu de sens.

Courir comme un poulet sans tête : expression, très visuelle, qui signifie une surexcitation ou un excès de zèle dans une activité (physique le plus souvent).

Doute : la seule certitude de notre existence. Rien n’est définitif ou absolument vrai.

Français : langue romane encore parlée. Les philologues sont tou.te.s d’accord pour soutenir l’hypothèse suivante : son invention remonte à un groupuscule de sadiques du haut Moyen Âge, ayant comme seule tâche dans la vie la création d’une langue extrêmement compliquée. D’après moult recherches universitaires, pour ces moines, le paroxysme de la complexité serait atteint lorsque personne ne saurait quelle est la forme syntactico-sémantique correcte des phrases. Il s’avère que ce projet a fui l’abbaye à un moment donné, pour des raisons que l’on ignore, et que la langue a eu plus de succès que ce qu’on pouvait imaginer. Et le succès dure encore.

Habiter : un Art.

Invention : activité amusante qui peut s’appliquer à tous les domaines imaginables, surtout au langage.

Langue: organe sexuel dont certain.e.s dépravé.é.s se servent pour parler.

Loger : un droit.

Matin : enfer ou after, les expert.e.s n’ont pas encore trouvé de consensus.

Musique : langage de l’âme, qui nous permet d’exprimer ce que les mots n’arrivent pas à véhiculer. Dans le mythe biblique de la tour de Babel, nous trouvons déjà des références à la musique comme un langage universel, un topos commun où la compréhension serait totale.

Miroir : un jour, à l’école, je m’ennuyais en cours (quelle nouveauté !) et je me suis lancé dans une pratique un peu étrange, je l’avoue. J’ai eu l’idée d’écrire « en miroir ». Un peu comme le faisait Da Vinci, et d’ailleurs, c’est en apprenant qu’il arrivait à le faire, en même temps qu’il écrivait normalement avec son autre main, que l’idée m’est venue à l’esprit. Cette façon d’écrire consiste à faire en sorte que le texte puisse être mis devant un miroir et lu à travers celui-ci. C’est-à-dire qu’il faut écrire de gauche à droite et avec le sens des lettres inversé. Mais je me disais que la symétrie miroiresque devait être aussi dans l’activité elle-même. C’est pourquoi, pour écrire en miroir, je devais tout faire à l’envers : prendre le crayon de la main gauche, et orienter mon corps dans l’autre sens que d’habitude.

Il s’avère que j’ai réussi du premier coup, et je trouvais cette activité plutôt ludique. Quelques jours après, je le faisais dans ma chambre, même après avoir entendu plusieurs fois « chéper » ou « chelou ». Le diable sait ce que ça signifie… De mon côté, j’étais assis tranquillement, avec un miroir devant moi pour pouvoir lire au fur et à mesure. Une atmosphère bizarre régnait dans la pièce, et j’avais une sensation étrange. C’était comme si j’étais observé constamment par quelqu’un. Tout à coup, j’ai commencé à entendre un bourdonnement au loin, comme s’il était hors de la pièce, mais qui a envahi rapidement les lieux. Petit à petit ce bruit est devenu un vacarme. La vibration dans mes oreilles a commencé à envahir l’entièreté de mon corps, que je sentais s’agiter. Ma vision s’est troublée. Je n’arrivais plus à voir. Même avec les yeux totalement ouverts, j’étais incapable de discerner quoi que ce soit. Je ne voyais que du noir, que du vide. Comme s’il y avait un brouillard opaque qui me noyait. Puis il s’est évaporé.

Et c’est à ce moment que j’ai regardé mes propres mains et j’ai vu ma main droite qui tenait le stylo, et celui-ci pointait le texte qui, bizarrement était devenu parfaitement compréhensible et normal. C’est alors que je me suis vu. Je me suis vu à travers le miroir. J’ai vu comme je me levais, je me regardais sur le reflet du miroir d’un sourire ténébreux et obscur. Lui, il a décidé de sortir de la chambre. Et moi, je suis resté là, assis à contempler la scène. Je n’arrive pas encore à m’expliquer vraiment ce qu’il s’est passé ce jour-là, mais ce dont je suis sûr, c’est que rien n’a été pareil depuis. Les jours suivants, je n’arrivais plus à lire, n’importe quel texte, je voyais tout à l’envers, en miroir. Quel supplice ! Pourtant j’avais prévu de lire mes livres, et ils étaient encore là, posés sur mon bureau. Les personnes que je côtoyais habituellement n’étaient plus les mêmes : j’avais une sorte d’impression qu’il s’agissait de personnalités complètement opposées à celles dont j’avais l’habitude. Et moi, je ne savais plus ce qui est à l’endroit et à l’envers.

J’ai toujours eu l’impression que les miroirs sont quelque chose de mystérieux, de sombre, d’impénétrable. Dans mes rêveries, je les ai toujours perçus comme une porte d’entrée donnant sur une autre dimension du réel. Un monde semblable au nôtre, mais qui ne l’est pas. Un monde où les choses et les humains peuvent se multiplier ad infinitum.

Œuf : aliment diaboliquement délicieux. Le jaune est orange et le blanc est jaune. C’est absurde et ça m’agace.

Police : elle est partout et ne sert à rien du tout. Sa seule fonction est de venir déranger sans raison d’un ton paternaliste et méprisant. Un refrain très commun parmi la population est « acab ».

Psychomotricité : salle présente dans certaines écoles primaires pour le développement, et mot impossible à prononcer.

Révisions : Des visions très fortes (Ré-visions).

Siestasse : Moment sacré de la journée. Aussi un jeu de hasard très addictif : il s’agit de s’endormir à un moment de la journée (après manger, c’est le mieux), sans mettre un réveil. C’est en se réveillant qu’on voit combien de temps on a dormi et combien de rendez-vous on a ratés. Les résultats oscillent souvent entre 20 minutes et 4 heures.

Andreu Gesti

Ce texte est tiré de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

 Photo : ©Alexas_Fotos

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