Les réverbères : arts vivants

Vous êtes ici : Fin des voyages

Alors que les Voyages de l’épisode 3 n’ont pas pu se jouer à l’Usine, ils ont été remplacés par un journal de bord, sous la forme de trois séries d’audios. Les deux derniers se concentrent sur Cassandra, qui entend des morts, et Arbalète, qui rejoint une communauté inter-spéciste.

Après les voyages de Mad et des Camille, qui ont déjà questionné beaucoup d’éléments de notre monde à nous, en miroir de celui d’après l’effondrement, nous retrouvons d’abord Cassandra. Rappelez-vous, Cassandra, c’est l’esthéticienne espagnole apparue dans Les Ruines et qui entend les morts. Ou plutôt celle à travers qui les morts parlent. Claude-Inga Barbey reprend donc son irréprochable accent dans Sorcierx (en toutes lettres !), un texte de Fatima Wegmann dans lequel elle télécommunique avec les morts.

Loin de l’humour que nous avons pu entrevoir dans l’épisode précédent, Cassandra exprime sa lassitude : elle n’en plus, elle est fatiguée. Ce qui frappe dans ce nouvel audio, c’est la présence d’une narratrice, qui décrit les déplacements de l’esthéticienne et l’ambiance du quartier, notamment la recherche du bar clandestin dans lequel elle veut aller se saouler pour oublier. Après avoir ingurgité alcool et autres substances hallucinogènes, elle commence un autre voyage, spirituel, au pays des morts… Elle y fait la connaissance de l’âme d’une sorcierx défunt.e, avec qui elle discute.

Sorcierx, c’est une expérience sensorielle d’écoute, un peu à part. Le surnaturel s’immisce dans notre monde, grâce à Cassandra et sa sensibilité à l’univers des morts. Plus qu’elle, c’est la sorcierx qui parle au nom de tout.e.x.s. Iel y décrit la frustration de ses congénères qui ne peuvent désormais plus communiquer avec les humains, lesquels ont bien trop peur d’iels. La sorcierx parle également de leur passé, au temps de leur apogée avant l’extermination, jusqu’à enchaîner sur le propos sans doute le plus intéressant de cet audio. Dans une sorte de prévision en forme de révélation aussi mystérieuse que mystique, iel explique que les sorcierx ne seront jamais anéanti.e.s, qu’iels se transformeront toujours, à l’image du monde. On en apprend également un peu plus sur les pouvoirs de Cassandra et la façon dont elle peut les maîtriser. On en reparlera certainement lors d’un prochain épisode… Comme les meilleures séries télévisées, Vous êtes ici crée ici un suspense en ouvrant de nouvelles possibilités pour la suite.

Dans le second audio, nous retrouvons Arbalète, qui a quitté le CERN et le sabbat sur « lae » Salève. En constante transformation, cet être indéfini cherche de nouvelles métamorphoses. Il rejoint une communauté inter-spéciste dans les Pyrénées. Pour y devenir animal ? Drailles animales, c’est le titre du texte de Marion Quintard dans lequel Arbalète s’exprime…

Il s’agit ici d’une forme de discours anti-spéciste, tourné d’une manière que nous n’avons pas vraiment l’habitude d’entendre. Plutôt que de critiquer celleux qui mangent de la viande ou d’autres produits d’origine animale, on assiste plutôt à une vision du monde plus innocente, plus candide. Arbalète, en observant les animaux qu’iel croise, entrevoit les points communs entre toutes les espèces, entre autres le besoin d’eau. Se remettant en question, iel s’imagine être lui aussi de la viande pour un autre, lorsqu’iel croise un ours. La vision n’est ainsi plus humanocentrée, et c’est en cela que ce discours est particulièrement fin. Son observation de la loutre ajoute une autre dimension : et si l’intervention humaine n’était pas toujours aussi néfaste qu’on le croit ? Il est question ici de l’écrevisse américaine, hantise des écologistes, rapportée par l’homme et qui se montre particulièrement invasive. Elle sert ici de nourriture à la loutre, espèce protégée, et donne des idées à Arbalète dans sa manière d’envisager sa survie et sa relation aux êtres vivants qui l’entourent. Cela a de quoi laisser songeur.se, non ?

Nous l’avions entrevu dès le premier épisode, de nombreuses thématiques actuelles et engagées sont abordées dans cette série, comme l’égalité, le racisme, l’écriture inclusive ou encore notre rapport aux animaux… Ce qui frappe dans les audios de l’épisode 3, c’est la façon dont ces thématiques sont abordées, à travers les yeux d’un personnage différent à chaque fois, qui remet en cause sa vision du monde et ce qu’on lui a appris. Sans suivre des discours mainstream, iels se font leur propre idée des choses, par leurs observations. Une façon de rendre à l’être humain son esprit critique souvent réduit par le trop grand nombre de sources d’informations et sa propre fénéantise. À méditer…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Lien vers le journal de voyage, vol. 3 : https://www.vousetesici.ch/journal/ici-tout-va-tres-bien-vierges-jurees-copier-copier

Photo : © Isabelle Meister

Pour retrouver l’article sur le volume 1, c’est par ICI !

Le volume 2, quant à lui, est  !

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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