La plume : BA7La plume : créationLa plume : littérature

Pièces rapportées : Y’a-t-il un temps pour aimer ?

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, Louise Glatz vous propose un collage littéraire. Fait d’éléments hétéroclites (coupures de journaux, citations tronquées, phrases glanées ici et là), le collage littéraire crée un texte à partir du divers, de l’inattendu. Louise va vous parler… de météo. Et d’amour, aussi.

* * *

Y a t-il un temps pour aimer ?

Marche à suivre

Choisissez un texte dont vous avez presque oublié qu’il en est un

Prenez par exemple un bulletin météo

Notez sur une feuille quelques mots épars et récurrents

Laissez-les reposer un bref instant

Puis, faites-en une relecture

Écoutez l’histoire qu’ils ont à vous raconter

Et voilà, il ne vous reste plus qu’à la retranscrire 

Ils sont deux. Ils sont deux sous une couverture blanche, cotonneux nuage, bien au chaud.

Le premier se lève, il est déjà en retard. Peu importe s’il s’attire les foudres du patron. Il l’aime, l’autre, le deuxième, celui couché sur le lit. Il se dit qu’il est beau, beau à couper le souffle. Un temps passe. Ils n’ont pas bougé. Ils se regardent. Un courant électrique les traverse, la température monte. Ils s’approchent. Ils s’accrochent. Leurs corps atteignent des hauteurs atmosphériques. Tant pis pour le travail, rien à foutre d’une pluie d’éloges, tant qu’ils s’aiment. Et ça oui, ils s’aiment. Ils s’aiment ici, là-bas, d’est en ouest, du nord au sud. Ils s’aiment pour toute la vie. Ou presque.

Ils sont deux sous une couverture grise.

Le réveil n’a pas sonné ce matin-là. Elle bondit du lit. Elle ne peut pas être en retard. Sinon adieu l’augmentation. Dans sa précipitation. Modérée. Elle glisse sur des feuilles et chute. Il laisse toujours tout traîner. Elle devrait le lui dire. Mais elle ne dit rien, elle ne veut pas en faire une montagne. Elle a peur de lui mettre la pression, lui qui est déjà si sensible. Un courant d’air froid la fait frissonner, elle se dépêche de s’habiller, attrape ses affaires et atteint la porte de la chambre sur la pointe des pieds. Juste avant de franchir le seuil, elle se retourne le regarde et se dit qu’un jour, elle le lui dira. Elle fixera ses conditions. Mais pas aujourd’hui, peut-être demain ou alors la semaine prochaine. Ça attendra encore un peu.

Elles sont deux.

La première est déjà debout. Elle n’a pas dormi. Elle ne dort plus. Sa place est vide sous la couverture. Le thérapeute a parlé de dépression, de zones de perturbations. Elle n’a pas vraiment compris. Ça s’est fait petit à petit, quelques nuages accumulés, une brise de désaccords, quelques éclats de voix, une tempête qui s’est préparée dans l’ombre. Du début de leur histoire, des périodes d’accalmie et des brèves éclaircies, il ne reste rien, pas même un souvenir fugace. Elles ne se supportent plus. Dans un excès de colère elle brise un verre. L’autre se réveille. Elles s’insultent. C’est devenu une habitude. Se lancent des piques en rafales. L’amour a laissé place à la haine. Elles n’avaient jamais imaginé s’abaisser à cela. Mais voilà, mauvaises prévisions, aucune amélioration possible.

Il est seul.

Le matin, le soleil ne brille plus. Le front chaud, les yeux humides des larmes de la veille il attend, il attend de s’habituer à cette absence. Dans le courant de la journée, il refoule ses larmes pour qu’on ne les voie pas. En soirée, il les laisse couler. Elles mouillent la couverture qui s’assombrit. Il aimerait tellement pouvoir remonter le temps. Il aurait dû le retenir. Ils auraient pu essayer. Essayer de tout recommencer, de parler, de s’expliquer, comprendre ce qui leur était arrivé. Mais il était resté immobile à côté de la fenêtre, les yeux perdus dans le bleu du ciel, alors que son univers entier s’effondrait. Onze ans de vie commune balayés par un coup de vent. L’autre avait dit : « Je m’en vais, je te quitte » et lui, il aurait dû dire : « Théo reste, Théo, je t’aime » au lieu de cela, ses mots s’étaient gelés et il avait seulement dit : « Mais… Théo… ».

Louise Glatz

Ce texte est tiré de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

Photo : ©Pexels

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *