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Lexique autobiographique : Mon dictionnaire

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, place à un « lexique autobiographique » : Giada Cantamessi vous propose de plonger dans son univers, au fil des mots qui, selon elle, la définissent le mieux…

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Mon dictionnaire

Feu rouge (nom masculin) – Voilà ce qui s’est passé un jour dans le bus : une femme, assez jeune, mais avec un visage qui paraissait plus âgé et fatigué pour son âge véritable, a commencé à chanter. Insouciante des réactions des autres passagers, elle a fait du bus son théâtre personnel. Des chants, elle a ensuite enchaîné avec des discours dont il était difficile de suivre la logique. Tout à coup, quand les plus curieux ont cessé de lui prêter attention, elle a commencé à crier à grande voix, désespérément : « Vite, il faut appeler les pompiers, vite, il y a un incendie, un feu rouge ! ». Cette fois-ci, les gens, moins gênés qu’amusés, ont souri discrètement. Parmi ces cris et les regards perplexes, je me rappelle avoir appris le sens de ce mot. « Feu rouge ».

Gare, nom féminin – Lieu où l’on peut observer tous types de gens, dans leur dimension la plus naturelle : celui qui est toujours trop en avance, celui qui court pour rattraper son retard, qui est amoureux, qui est affamé, qui est un peu perdu, qui voyage, qui se déplace, qui a oublié sa valise, qui est content, qui est seul, qui est en compagnie, qui est fatigué, et qui simplement attend un train. Moi : toujours en retard, souvent triste.

Interruption, nom féminin – Interrompre quelque chose signifie sortir d’une routine qui, bien que répétitive, constituait une sorte de refuge sûr. C’est un geste qui demande du courage et qui a toujours des conséquences importantes. Souvent, l’interruption est inattendue, une espèce de surprise qui peut arriver à chaque moment. Ma partie préférée, c’est toujours le dernier instant de normalité avant l’interruption, comme celui juste avant le black-out dans une grande ville où on ne suspecte rien de la désorientation qui est sur le point d’arriver. À ce moment, on n’imaginait pas du tout que quelque chose pouvait s’interrompre de faç.

Maison, nom féminin – Avant le début de l’Université, j’avais beaucoup de pensées dans ma tête : avais-je fait le meilleur choix ? Étais-je inscrite dans la bonne faculté ? Et la ville ? Genève me plaira-t-elle ? Ces questions étaient des soucis qui m’ont suivie tout l’été. Toutefois, j’ai réalisé un peu plus tard qu’il y avait une autre question que je n’avais pas vraiment considérée (mes préoccupations concernaient principalement le côté académique) : le commencement de mes études signifiait aussi abandonner ma maison. Cette maison jaune, à la fin de la rue et juste à côté du bois, était la seule que j’avais jusque-là connue. Nous n’avions jamais déménagé ; cette maison était donc celle de mon enfance et de mon adolescence. Le début de cette nouvelle période m’a amenée à me questionner sur cet endroit familier. Jusqu’alors, « maison » était synonyme de refuge et de famille. C’était également l’endroit du « neutre » et de la normalité, parce que c’était le seul terme de comparaison dont je disposais pour évaluer les autres lieux. Si j’allais chez quelqu’un d’autre, je remarquais tout de suite, automatiquement, une odeur qui n’était pas la même, des couleurs différentes… en somme, tout ce qui fait d’une maison un lieu personnel et « personnalisé ».  Passées ces réflexions et la difficulté à trouver un nouveau logement, le grand jour du déménagement est finalement arrivé. Les premières fois, il m’arrivait de prendre le mauvais chemin pour rentrer et j’étais obligée de faire d’ennuyeux détours par le quartier, à la recherche de cette nouvelle et inconnue demeure que je devais encore m’habituer à appeler « maison ». Je me suis aperçue tout de suite que ce déménagement avait provoqué chez moi une sensation de très grande liberté, mais, également, de responsabilités et de dimensions nouvelles. À présent, je suis contente où je suis – je pense – mais je me rends compte que « se sentir à la maison » est un processus qui demande du temps, et je ne suis pas sûre que la période passée ici sera suffisante pour me permettre d’atteindre un sentiment d’appartenance totale à cette nouvelle habitation. Si on parle de « maison », donc, l’image qui se crée dans ma tête est encore celle de cette construction jaune aux limites du bois. Parce que, peut-être, le lieu où l’on habite ne coïncide pas toujours avec ce qu’on appelle « maison ».

Peur, nom féminin – Le paradoxe, c’est la peur d’avoir peur.

Pluie, nom féminin – Si on cherche à s’endormir, c’est juste du bruit. Si on est dehors (et que c’est l’été), c’est une odeur. Quand c’est le matin, qu’il fait froid, et que l’on a devant nous une journée de travail, c’est affligeant. Mais elle porte en elle la vraie liberté : courir seul sous la pluie.

Giada Cantamessi

Ce texte est tiré de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey.

 Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

 Photo : © diego_torres

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