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Littérature jeunesse : une Suisse et des destins

Découvrir l’histoire suisse dès le plus jeune âge, voilà qui est possible grâce à la plume d’Olivier May. Cet auteur prolifique a récemment signé deux ouvrages colorés et passionnants consacrés à Guillaume Tell et Ella Maillart, aux éditions Auzou. À décortiquer sans tarder !

S’il est une qualité qu’on peut reconnaître à Olivier May, c’est celle d’être un auteur à la fois prolifique… et éclectique. Formé en anthropologie, archéologie préhistorique et histoire, cet infatigable créateur est à l’aise autant dans un répertoire à destination des adultes (en science-fiction et fiction spéculative, notamment) que des enfants, pour lesquels il signe de nombreux albums illustrés et romans historiques. Pour ce jeune public, il n’hésite pas à vulgariser des objets souvent complexes[1], ce qui se révèle être un vrai bonheur !

En février 2021, l’antenne helvétique des éditions Auzou (dont je vous avais déjà parlé à l’occasion d’un autre ouvrage d’Olivier May, La Suisse en 15 femmes) lançait une toute nouvelle collection, dédiée à l’histoire de notre pays : « Un fabuleux destin… ». Les deux premiers numéros de cette collection, illustrés par le pinceau lumineux et attachant de Marina Pérez, sont consacrés à deux figures emblématiques – quoique très éloignées dans le temps et dans l’imaginaire : le héros mythique Guillaume Tell et l’écrivaine-voyageuse Ella Maillard.

Guillaume, entre histoire et mythe

C’est par les aventures de Guillaume Tell que j’ai débuté ma lecture, avide de me replonger dans les différents épisodes mettant en scène l’arbalétrier le plus fameux de Suisse : l’insulte faite au chapeau du bailli Gessler, l’épreuve de la pomme, la fuite sur le lac des Quatre-Cantons, la mort de Gessler dans le chemin creux… D’emblée, je tiens à signaler qu’Olivier May évite les écueils que présente un tel personnage, puisqu’il ne cherche ni à minimiser son important pour la constitution imaginaire de la Suisse, ni à lui conférer une existence historique avérée qui ferait le jeu d’un nationalisme revendicateur. À ce titre, Olivier May fait preuve d’une grande honnêteté intellectuelle, en exposant clairement à ses jeunes lecteurs et lectrices le problème que soulève Guillaume Tell lorsqu’on cherche à le mettre en scène dans un livre qui se veut historique. Il ouvre ainsi son premier chapitre, intitulé « Guillaume Tell, héros bien réel ou mythe national ? » :

« L’histoire de Guillaume Tell est célèbre. Une statue le représentant avec son fils trône à Altdorf, chef-lieu du canton d’Uri. Et si cette histoire n’était qu’un mythe ? Elle a pour la première fois été écrite en 1470, dans le Livre blanc de Sarnen, dans lequel on évoque deux autres mythes fondateurs de la Suisse : le serment du Grütli et la nuit des châteaux. Concernant Guillaume Tell, certains historiens penchent pour une légende. […] Pour notre part, nous avons choisi de mêler légende et faits réels dans notre récit. » (p.6)

Cette dernière précision est d’importance, puisqu’elle constitue tout l’enjeu du livre : en compagnie de Guillaume Tell, nous allons parcourir l’histoire de la Suisse primitive… comme si nous y étions et comme si lui-même, Guillaume, y avait réellement assisté ! La construction du Pont du Diable sur la route du Saint-Gothard, en 1220 ; le pacte de 1291, qui rassemble les cantons montagnards d’Uri, Schwytz et Unterwald ; le serment du Grütli, en 1307… À chaque étape, Guillaume est là pour nous guider, devenant ainsi une figure familière qui articule le récit et lui confère un fil rouge rassurant. Qu’importe, alors, qu’il ait ou non existé ! Le retrouver, page après page, suffit à la cohérence de l’ensemble : c’est ce qui est plaisant.

Sur les traces de l’infatigable Ella

Tout autre est l’enjeu du deuxième numéro de la collection « Un fabuleux destin… », consacré à l’écrivaine-voyageuse genevoise Ella Maillart. Ici, comme c’était le cas dans le grand album La Suisse en 15 femmes, il s’agit plutôt d’une entreprise destinée à replacer dans son contexte la vie passionnante d’une femme qui n’avait pas froid aux yeux. Olivier May déroule la chronologie de la vie d’Ella avec beaucoup de tendresse et de précision, des jeunes années au bord du Léman en 1914 aux multiples voyages en Asie dans les années 1930, en passant par les premières expériences comme navigatrice aux alentours de 1920, jusqu’à son établissement comme écrivaine à Chandolin (Valais) entre 1948 et 1997.

« Cette femme d’exception, qui a vécu jusqu’à 94 ans, a mené une vie extraordinaire. Elle a pris beaucoup de risques pour assouvir sa passion des voyages et de l’aventure. Ses récits et ses photographies restent à jamais de précieux témoins de ce XXe siècle qu’elle a traversé. » (p. 28)

De par son caractère atypique, la vie d’Ella Maillart permet à Olivier May de montrer une trajectoire féminine qui s’affranchit des codes de son époque (Ella est, par exemple, la première à créer une équipe féminine de hockey sur gazon, en 1919) et n’hésite pas à exercer un métier réputé dangereux (en voyageant comme reporter et photographe dans des régions reculées d’URSS et d’Asie). De quoi élargir les horizons des petites lectrices et des petits lecteurs du XXIe siècle ! Ce faisant, Olivier May donne à son jeune public des repères essentiels pour comprendre l’histoire et la géopolitique du siècle passé : grâce à un appareillage de notes très complets, de nombreuses définitions éclairent les termes difficiles, les concepts abstraits ou les noms propres – archéologues, Caucase, Joseph Staline, Mandchourie, caravansérails… Une vraie plongée dans l’ailleurs, tant historique que géographique ! Seul bémol, peut-être : évoquant l’écrivaine et photographe zurichoise Annemarie Schwarzenbach, qui a voyagé un temps avec Ella, Olivier May laisse dans le placard son homosexualité, nécessaire à mon avis pour saisir la complexité de cette amie à laquelle Ella rend hommage dans La Voie cruelle : deux femmes, une Ford vers l’Afghanistan, en 1947… Sujet trop complexe pour un livre pour enfants ? J’en doute. Voilà peut-être l’occasion de consacrer un volume de la collection à la vie et au travail d’Annemarie… ?

En tous cas, que vous soyez enfant ou adulte, je ne peux que vous encourager à découvrir la plume d’Olivier May, dans la collection « Un fabuleux destin… » : vous ne serez pas déçu·e·s et vous verrez la Suisse autrement !

Magali Bossi

Références :

Olivier May, Un fabuleux destin : Guillaume Tell, Paris, Éditions Auzou, 2021, 32p.

Olivier May, Un fabuleux destin : Ella Maillart, Paris, Éditions Auzou, 2021, 32p.

Photo : © Carmeline Fischer

[1] C’était le cas, par exemple, avec Horangi, le dernier tigre de l’Oussouri, qui traitait de la chasse et du trafic illégal d’animaux menacés, sur fond de géopolitique internationale…

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé. Elle aime le thé et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Présidente de l’association La Pépinière, elle est responsable de son pôle Littérature. Docteure en lettres (UNIGE), elle partage son temps entre un livre, un accordéon - et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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