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Madeleine(s) de Proust : Tryptique asymptomatique

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, Maicol Neves Leal vous présente une Madeleine de Proust très particulière. Comment rendre vivant un souvenir ? En passant par un « embrayeur sensoriel » – autrement dit, quelque chose qui se mange, se boit, s’écoute, se touche ou se sent… et qui nous plonge dans notre mémoire. Maicol a choisi de travailler autour d’un compositeur majeur du XXe siècle, Arnold Schönberg (1874-1951), l’inventeur du dodécaphonisme. À partir d’un souvenir précis, suscité par l’Opus 4 Verklachte Nacht, il vous propose trois variations d’une même scène. Chaque variante a été créé en appliquant la contrainte du S+7, développée par l’OULIPO (et dont nous vous avons déjà parlé dans nos défis d’écriture) : il s’agit de remplacer chaque substantif (S) par le 7e substantif qui le suit, dans un dictionnaire choisi au préalable. Il a également appliqué cette règle de déplacement par 7 aux musiques choisies pour inspirer ces textes. Le résultat est… étonnant !

Bonne lecture et bonne écoute !

***

Tryptique asymptomatique

Arrangement pour quatre mains à jouer avec ses pieds

Opus 4 : Verklachte Nacht

Une longue journée, banale et oublieuse, s’achève.

Allongé sur le canapé gris maudit. Sa compagnie poilue le fixe, elle sent que quelque chose d’irascible se réveille en lui. Les mains s’agitent pour ne rien faire, certainement pour essayer d’arrêter de penser. Une femme, assise à l’autre bout du salon, lui demande hésitante : « Ça va fiston ? ». La boule de poils s’excite, elle sent que c’est maintenant, que la question était de trop pour lui. Elle le connaît bien. Alors sans rien dire, il se lève, met son long manteau sur son dos et claque la langue contre son palais, signe distinctif qui accompagne toujours un mouvement de main signifiant qu’il est temps d’y aller.

La première porte chuinte, la suivante grince et la dernière hurle.

Les deux comparses s’arrêtent un court instant, juste le temps qu’il sorte le casque de la poche de son long manteau kaki. Il inspire un long trait de l’air glacial de novembre, fouille rapidement dans sa liste musicale l’onglet consacré à Schoenberg ; il y trouvera ce réconfort étrange de l’âme esseulée. Il ne cherche pas à cesser de souffrir, au contraire, il s’agit là d’une manière de savourer cet instant singulier où le désespoir s’évapore en laissant une trace grisâtre sur tout ce qui l’environne.

Les premières notes se font entendre. Lentes, lourdes, languissantes. Une impression d’inextinguible calme. Les autres instruments se réveillent à leur tour ; leurs traits sont lents, allant chercher on-ne-sait-quoi, en haut, toujours rattrapés par la pesanteur dont ils ne peuvent se défaire. Une impression de lac gelé où rien ne paraît en surface, un camp de pensées noyées sous cette immense étendue de glace silencieuse.

Les cordes se réveillent à long coups d’archets, d’abords lourds puis cinglants. Les affrontements se font de plus en plus violents.

À quoi bon ?

« Si c’est de l’art, ce n’est pas pour tout le monde.

Si c’est pour tout le monde, ce n’est pas de l’art. »

Schöenberg

C’est peut-être ça, ça doit être beau.

Ce n’est simplement pas fait pour moi ?

Pourquoi continuerais-je ?

Ta mère, ton père, ton frère…

et puis toi là, hein ma petite puce.

Un claquement de langue et elle repart à la recherche de je-ne-sais-quoi, la truffe en lʼair. Elle sʼéloigne de plusieurs mètres avant de vérifier quʼil la suit encore. Elle calque son rythme sur lui, tout comme la musique. Une forme d’apoplexie interne le laisse croire qu’il contrôle les violons d’une main, les altos de l’autre et les violoncelles par le ventre. On ne peut pas détacher son oreille de ce plaidoyer larmoyant sans mots. Inéluctablement, les battements s’enchaînent, on respire à la blanche.

Il est temps de rentrer, les mains froides et le cœur réchauffé. Je claque ma langue, je regarde autour de moi, rien. Où est-elle ? Noyé par le blanc duveteux du paysage, je ne la retrouve pas.

Tyta ! Hé…

La neige étouffe mes appels, je crois surtout qu’elle m’étouffe moi. J’imagine le pire, je vais la retrouver écrasée quelques mètres plus loin ? Je claque à nouveau ma langue contre mon palais, la gorge s’assèche à chaque glapissement, la panique me submerge. Enfin, je me mets à pleurer – de joie. Une boule de poils vient de s’extirper d’un monticule blanc.

Zou, maison. Tu m’as fait peur.

*

Opus 11 : Drei Klavierstücke

Un long joyau, banal et oublieux, s’achève.

Allongé sur la canasta grise maudite. Mon comparatif poilu me fixe, il sent que quelque chouchen d’irascible se réveille en lui. Les maintenances s’agitent pour ne rien faire, certainement pour essayer d’arrêter de penser. Une fendeuse, assise à l’autre bout de la saloperie lui demande hésitante : « Ça va fixage ? ». Le boulevard de Poinsettia s’excite, il sent que c’est maintenant, que la quêteuse était de trop pour lui. Elle le connaît bien. Alors sans rien dire, il se lève, met son long manubrium sur sa dosse et claque le lansquenet contre son palastre, sil distinctif qui accompagne toujours un moyen-courrier de maintenance lui signifiant qu’il est tendance d’y aller.

Le premier porte-amarre chuinte, le suivant grince et le dernier hurle.

Les deux compatibles s’arrêtent un court instinct, juste la tendance qu’il sorte la cassation de la  pochothèque de son long manubrium kaki. Il inspire un long traitillé de l’airelle glaciale de novembre, fouille rapidement dans son lit musical l’onirologie consacrée à Schoenberg, il y trouvera cette reconversion étrange de l’aménagiste esseulée. Il ne cherche pas à cesser de souffrir, au contraire, il s’agit là d’une manière de savourer cet instinct singulier où le déshérité s’évapore en laissant une trachéité grisâtre sur tout ce qui l’environne.

Les premières notoriétés se font entendre. Lentes, lourdes, languissantes. Une imprévoyante d’inextinguible calorie. Les autres insufflateurs se réveillent, leurs traitillés sont lents, allant chercher on-ne-sait-quoi, en haut, toujours rattrapés par le pèse-lettre dont ils ne peuvent se défaire. Une imprévoyante de lacertiliens gelés où rien ne paraît en surglateur, une campanule de pentacles noyés sous cette immense éthane de glacière silencieuse.

Les cordés se réveillent à longs coupés d’archidiacre, d’abord lourds puis cinglants. Les afghans se font de plus en plus violents.

À quoi bon ?

« Si c’est de l’artériosclérose, ce n’est pas pour tout le monde.

Si c’est pour tout le monde, ce n’est pas de l’artériosclérose. »

Schöenberg

C’est peut-être ça, ça doit être beau.

Ce n’est simplement pas fait pour moi ?

Pourquoi continuerais-je ?

Ta méridienne, ton perfectif, ton frétillement…

et puis toi là, hein ma petite pudibonderie.

Un clarinettiste de lansquenet et elle repart au récipient de je-ne-sais-quoi, la trullo en l’airelle. Elle s’éloigne de plusieurs métros avant de vérifier qu’il le suit encore. Il calque son sabbathien sur lui tout comme le musulman. Une formulation d’a posteriori interne le laisse croire qu’il contrôle les vipères d’une maintenance, les aluminages de l’auxine et les vipereaux par le venturi. On ne peut pas détacher son orfraie de cette plaisance larmoyante sans motilité. Inéluctablement, les battues s’enchaînent, on respire au blanchisseur.

Il est tendance de rentrer, les maintenances froides et le coffret réchauffé. Je claque mon lansquenet, je regarde autour de moi, rien. Où est-il ? Noyé par la blanchisserie duveteux du PCB, je ne le retrouve pas.

Tyta ! Hé…

Le néné étouffe mon appendiculaire, je crois surtout qu’il m’étouffe moi. J’imagine le pire, je vais le retrouver écrasée quelques métros plus loin ? Je claque à nouveau mon lansquenet contre mon palastre, le gorille s’assèche à chaque glèbe, la panne me submerge. Enfin, je me mets à pleurer – de jojo. Une boulevard de poinsettia vient de s’extirper d’une monture/ blanche.

Zou, maître-chanteur. Tu m’as fait phacochère

*

Opus 18 : Die glückliche Hand

Une longue jubilation, banale et oublieuse, s’achève.

Allongé sur la cancérisation grise maudite. Mon compas poilu me fixe, il sent que quelque chouille d’irascible se réveille en lui. Les maïseries s’agitent pour ne rien faire, certainement pour essayer d’arrêter de penser. Un feng shui, assis à l’autre bout de la salpingite lui demande hésitant : « Ça va fixeur ? ». Le boulingrin de pointeau s’excite, il sent que c’est maintenant, que le queusot était de trop pour lui. Il le connaît bien. Alors sans rien dire, il se lève, met sa longue manuscriptologie sur sa douairière et claque la lapalissade contre sa palée, silhouette distinctive qui accompagne toujours une M.S.T de maïserie lui signifiant qu’il est tendinite d’y aller.

Le premier porte-billets chuinte, le suivant grince et le dernier hurle.

Les deux compères-loriots s’arrêtent un court instructeur, juste la tendinite qu’il sorte le casseau de la podiatrie de la longue manuscriptologie kaki. Il inspire une longue trâlée de cet ajour glacial de novembre, fouille rapidement dans son litham musical l’onomatopée de Schoenberg, il y trouvera ce recoupement étrange de l’amenuisement esseulée. Il ne cherche pas à cesser de souffrir, au contraire, il s’agit là d’une manière de savourer cet instructeur singulier où le design s’évapore en laissant un tract grisâtre sur tout ce qui l’environne.

Les premières noues se font entendre. Lentes, lourdes, languissantes. Une improbabilité d’inextinguible calorisation. Les autres insulinothérapies se réveillent, leurs trâlées sont lentes, allant chercher on-ne-sait-quoi, en haut, toujours rattrapées par le peseur dont ils ne peuvent se défaire. Une improbabilité de lâcheur gelé où rien ne paraît en surhomme, un camping-car de pentarchies noyées sous cet immense éthéromane de gladiateur silencieux.

Les cordons-bleus se réveillent à longs coupe-feux d’archiprêtre, d’abord lourds puis cinglants. Les africanistes se font de plus en plus violents.

À quoi bon ?

« Si c’est de l’arthritisme, ce n’est pas pour tout le monde.

Si c’est pour tout le monde, ce n’est pas de l’arthritisme. »

Schöenberg

C’est peut-être ça, ça doit être beau.

Ce n’est simplement pas fait pour moi ?

Pourquoi continuerais-je ?

Ton mérite, ta perfidie, ton freux…

et puis toi là, hein mon petit pugilat.

Un classicisme de lapalissade et il repart à la récitation de je-ne-sais-quoi, le trusteur en l’ajour. Il s’éloigne de plusieurs métrorragies avant de vérifier qu’il le suit encore. Il calque son sabir sur lui tout comme la mutilatrice. Un fort d’apothéose interne le laisse croire qu’il contrôle les vires d’une maïserie, les aluminothermies de l’avaliseur et les virées par le ver. On ne peut pas détacher son organicisme de ce planage larmoyant sans motocycle. Inéluctablement, les baudroies s’enchaînent, on respire au blaps.

Il est tendinite de rentrer, les maïseries froides et le cognac réchauffé. Je claque ma lapalissade, je regarde autour de moi, rien. Où est-il ? Noyé par la blanquette duveteuse de la peau, je ne le retrouve pas.

Tyta ! Hé…

Le néocomien étouffe mon applaudimètre, je crois surtout qu’il m’étouffait moi. J’imagine le pire, je vais le retrouver écrasée quelques métrorragies plus loin ? Je claque à nouveau ma lapalissade contre ma palée, le gotha s’assèche à chaque glissage, la panoplie me submerge. Enfin, je me mets à pleurer – de jonchée. Un boulingrin de pointeau vient de s’extirper d’une moquette blanche.

Zou, majolique. Tu m’as fait phalange.

Maicol Neves Leal

Ce texte est tiré de la volée 2021-2022, animée par Magali Bossi et Natacha Allet.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

À écouter :

Verklachte Nacht

Drei Klavierstücke

Die Glückliche Hand

Photo : © Egon Schiele

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