Mondes imaginaires : le jeu
L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées à une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs.
Mondes Imaginaires proposent donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offrent des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires proposent un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participants peuvent, s’ils le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !
Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Celui d’aujourd’hui est signé par David Weber et s’intitule sobrement… « Le jeu ». Bonne lecture !
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Le jeu
Dans un monde lointain, très lointain, un peuple (mon peuple) avait comme rite de passage un lancer de dés – mais pas n’importe quels dés. Ces objets cubiques avaient le pouvoir d’apporter certaines aptitudes extraordinaires. Dans le meilleur des cas, nous obtenions la capacité de voler, ou une force incroyable.
Forcément, ce ne fut pas mon cas.
Quand mon tour arriva, je tirai un Cadenas, un Œil, un Smiley faisant un drôle de sourire et une Canne. Quel pouvoir m’apporteraient ces dés, eh bien, au vu du pas en arrière que toute la tribu effectua lorsque qu’ils virent ces images s’envoler et s’imprégner en moi, je peux dire une chose avec certitude : cela n’était pas de bon augure. Surtout pour le fils du chef de ladite tribu.
Sur le moment, rien ne se passa néanmoins et la soirée continua de plus belle.
Le lendemain, cependant, ce fut une autre histoire. J’avais mal partout, j’avais l’air très renfrogné et une canne apparut soudain dans ma main, au moment où je me levai. À peine eussé-je posé le pied dehors que tout le monde commença à me dévisager et je m’exclamai aussitôt : « Bande de sales petits gamins que vous êtes ! Si vous aviez mon âge, vous ne seriez pas là les bras ballants, à gesticuler comme des pantins désarticulés. »
Le cadenas représentait mon esprit, qui était devenu celui d’un vieux grincheux ; la canne était apparue dans ma main car j’avais pris un sacré coup de vieux.
Je me mis à sourire et tous sourire à leur tour, mais leurs sourires semblaient faux. Ce qui me mis dans une colère noire. J’ouvris grands les yeux et quelqu’un, tout derrière le groupe, commença à crier. Puis un autre et encore un autre. Je compris très vite que leurs têtes se vidaient, que je commençais à déguster leur mémoire, leurs souvenirs heureux. Je savais bien que je leur faisais mal, mais c’était si bon. Comment résister à ce délicieux repas…
Tout d’un coup, plus personne ne cria. C’était fini. Je m’étais régalé de l’ensemble de leurs souvenirs, pensées, sentiments heureux.
Quelqu’un commença alors à s’énerver, pour une broutille, parce que la personne d’à côté l’avait regardé de travers. Puis un autre et encore un autre. Très vite, ils se mirent à se taper dessus – mais si seulement cela en est resté aux mains… hélas, ils utilisèrent leurs ongles, leurs dents et même des couteaux. Des oreilles volent, des bras arrachés sont utilisés comme battes. Des gens gisent par terre les tripes à l’air, le sang rouge et chaud coule sur l’herbe fraîche du matin. Certains cadavres n’ont plus d’yeux ; à la place, juste des trous ronds et encore humides, avec des traces de ce liquide rouge qui coule de partout.
Moi, je reste là et me régale de voir ce que mes pouvoirs (que je croyais insignifiants) peuvent provoquer en réalité. Je songe à la chance que j’ai : je vais enfin pouvoir être moi-même et vraiment faire souffrir les gens – surtout ceux que j’aime. Cette tuerie dura environ heure. Quel spectacle magnifique… Quand la dernière personne expira son dernier souffle, je me levai et applaudis des deux mains avec passion. Dommage qu’il n’y ait ce soir qu’une seule et unique représentation.
Mais, pensai-je soudain… qui m’oblige donc à n’avoir pas d’autre show ? Ma tribu, après tout, n’était qu’une parmi d’autres, parmi un nombre conséquent. Je souris, persuadé que d’autres que moi nourrissaient un goût identique pour tout ce qui est vraiment magnifique et qui mérite d’être vu, apprécié, à sa juste valeur.
David Weber
Photo : © jackmac34