Mondes imaginaires : polar… version trash !
L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées à une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs.
Mondes Imaginaires propose donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offrent des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires propose un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participant·e·s peuvent, s’iels le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !
Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Aujourd’hui, nous vous proposons un texte de David Weber. ATTENTION : scène violente se passant au bord d’un lac… on vous aura prévenu·es. Bonne lecture !
* * *
Le lac
Alors que je me baladais, je vis quelque chose à vous glacer le sang – quelque chose qui vous retournerait sûrement l’estomac. Cette chose se faisait violenter par d’autres individus, plus grands qu’elle. Les coups étaient brutaux et giclaient en tous sens. La pauvre âme en peine se faisait balloter dans toutes les directions et à chaque changement, elle recevait une claque qui aurait fait faire un 360° à n’importe qui d’autre.
Je m’arrêtais, estomaqué, et la regardais souffrir et se débattre comme si sa vie en dépendait. Mais sa vie en dépendait, justement… allait-elle survivre quelques minutes de plus, ou de moins ? Parviendrait-elle à atteindre un endroit plus calme ? Les autres, plus grands qu’elle, ne lui laissait aucune chance et ne suivait pas l’adage qui veut qu’on ne frappe pas les plus petits que soi.
Me voyait-elle ? Je ne le savais pas.
Je m’assis sur un rocher et continuai de la regarder ; c’était d’une vision atroce et magnifique. Cette chose qui perdait de plus en plus vie, pendant que moi je regardais sans intervenir… je me demandais si cela faisait de moi quelqu’un de mal – je ne le pensais pas. Je n’en étais pas sûr. Les esclavagistes blancs, quand ils observaient et utilisaient leurs esclaves noirs, avaient-ils des pensées semblables ?
La chose se rapprocha de moi, comme si elle me suppliait de lui venir en aide. Je ne bougeais néanmoins pas et regardais les plus grands se rapprocher d’elle. Je me surpris à espérer que les autres lui fassent encore plus mal, la torturent davantage. Cette pensée me surprit, car normalement, je n’aime pas la violence. Mais là, cette chose n’était même pas digne d’être humaine, donc cela ne me choquait pas.
J’avançai un peu plus pour sentir l’odeur, une odeur de brutalité, une odeur qui me rappelait les vacances en famille. Cette odeur fit remonter en moi un souvenir où j’étais avec mon frère, et au cours duquel nous avions regardé, il y avait bien longtemps, l’une de ces choses se faire torturer, violenter, bastonner… et nous en avions ri.
Une autre de ces choses s’approcha de moi et se hissa tant bien que mal sur un rocher, à fleur de lac. Elle croyait sûrement se mettre à l’abri… mais un plus grand la rejoignit et ce fut un massacre, il ne resta plus de des bouts de la chose sur ce rocher.
Une autre, encore, arriva à m’approcher. Elle mourut devant moi et, dans un dernier souffle, me gicla dessus. Ce n’était pas du sang, ou tout du moins, du sang comme on l’entend. Son sang à elle était blanc et sentait fort comme la marée – une odeur qui vous prenait aux tripes. Elle venait vers moi, croyant que je pourrais les sauver, mais je n’en avais pas envie.
Je me rappelais l’enfance. Quand j’étais petit, je sautais sur ces choses pour les voir disparaitre sous mes bottes, et cela me réchauffait le cœur de les voir mourir dans tant de souffrances. Ma grand-mère, en revanche, ne les aimait pas ; pour elle, c’était de vilaines choses qui ne devaient pas avoir de contact avec les humains. Leur odeur marquait les habits et c’était difficile de les ravoir après que ces choses étaient venues mourir auprès de nous.
Je finis par m’approcher, suffisamment pour toucher l’une de ces choses ; c’était étrange : elle était faite de mousse et ne ressemblait pas à ce qu’elle me semblait normalement devoir être. Ma main récupéra un peu de sa chair, j’approchai ma main de la bouche. Son goût me fit cracher tout de suite : ce n’était vraiment pas bon et pourtant, on mangeait souvent des êtres, petits ou grands, qui vivaient en leur sein.
Je me relevais et m’éloignais de la rive, battue par le ressac. Mes pieds étaient tout mouillés, je décidais donc de rentrer car les vagues, ces choses innommables qui disparaissaient sur la rive avec violence, étaient déchaînées. Une tempête s’annonçait.
David Weber
Photo : © Hans