S’en sortir sans sortir : Enfermé à vie
Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !
La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !
Le confinement a été une période particulièrement stressante – mais étonnamment riche en inspiration. Autour de la question « comment s’en sortir sans sortir ? », Alyssa Weber vous propose sa vision personnelle de la situation…
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S’en sortir sans sortir : Enfermé à vie
Comment s’en sortir sans sortir ?
Sortir. Voilà une notion qui m’est peu familière. Je me souviens vaguement de ce que signifie sortir. Je crois que ça veut dire : aller dehors. Mais je ne suis pas sûr. Attendez ! si ! ça vient ! je me souviens ! j’étais dans un parc, une fois, c’était il y a fort longtemps… en fait non, ça ne fait que deux semaines… mais que les jours semblent longs ! Voilà que je n’ai plus la notion du temps. Combien de temps ai-je dormi ? Combien de temps suis-je debout à ma fenêtre à regarder les oiseaux ? Je ne sais plus. Demain, c’est le premier avril. J’espère qu’on ne va pas nous faire de blague : c’est fini ! On peut sortir ! Enfin !
Je serai triste si c’est le cas. Et si ce n’était pas le cas ? Si la date n’est pas celle que l’on croit ? Je commence à douter. Le matin, je me lève – est-ce que c’est vraiment le matin ? – je doute. Je mange mon repas – une pâtée dans une gamelle – je doute. Je regarde le ciel et me demande : est-ce qu’il est vraiment bleu ? Je n’en peux plus. Je ne m’en sors pas… Je note les jours qui passent par des petits traits sur le mur poussiéreux. Ça me manque d’être libre.
Comment s’en sortir sans sortir ?
Eh bien, la réponse est simple : la patience. Vous savez, cette vertu qui consiste à attendre longtemps quelque chose qu’on désire énormément. On en aura besoin. Chaque jour, c’est un jour de moins avant la fin. Chaque jour, faire une activité dont on n’aurait pas eu l’idée en temps normal : apprendre une langue, imprimer des photos, créer des vêtements. Si vous avez la chance de ne pas vous trouver dans une pièce de huit mètres carrés où il n’y a qu’un lit et des toilettes, profitez. Trouvez-vous une activité qui vous empêchera de finir comme moi. Je ne sais même plus ce qu’est la liberté.
Comment s’en sortir sans sortir ?
Aujourd’hui, ça fait six mois que je suis enfermée dans ce trou à rat. Mon compagnon est un abruti désagréable et je lui foutrais des baffes si je le pouvais. Mais je suis surveillée. Sans cesse. Chaque jour, à la même heure, les autres tapent sur le fer. Ça devient infernal. Je vais péter un câble. L’autre abruti frappe les barres à deux centimètres de moi. Il sourit bêtement. Il a sûrement subi une ablation du cerveau, parce que pour rire à tout ce que je dis même quand je ne dis rien, il faut avoir un certain problème. Pour m’occuper, j’écris, sur les murs. C’est bien plus amusant que sur une feuille de papier. J’écris ce qui me passe par la tête. Le matin j’écris mes rêves, la journée j’insulte mes voisins, et le soir j’écris dans mes pensées un plan pour m’évader. Je prendrai les conduits d’aération, et je me faufilerai jusque dans les cuisines. Et après, j’improviserai. Il me manque juste les clés qui sont sur la ceinture du gardien endormi.
Alyssa Weber
Ce texte est tiré de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.
Photo : ©RoonZ-nl