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Variations : Le pouvoir des rêves

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Lola Besson qui prend la plume. Un drôle de récit de voyage, façon Nicolas Bouvier, à la frontière des rêves… Bonne lecture !

* * *

Le pouvoir des rêves

Des flots de rêve se déversaient sur moi, j’étais couchée dans mon lit, lasse et sans espoir. Comme hier et avant-hier, la pluie se déversait, comme mes rêves, à grands flots. Vous la connaissez cette pluie, celle qui donne envie de ne rien faire, sauf de rester enfermée chez soi ? Dans mon cas, je tournais en rond dans un bungalow. Une jolie maisonnette qui ne suffisait ni à calmer mes nerfs ni à raviver ma gaieté. J’étais pourtant venue sur cette île pour me refaire un teint estival, mais il me semblait (enfin j’en étais sûre) que j’avais choisi le mauvais mois. Organisée et anticipatrice comme je suis, je n’avais évidemment pas regardé quand avait lieu la saison des pluies au Vietnam. Je partis donc me renseigner auprès d’une personne de l’île. En zigzagant autour des bungalows, je tombai sur le gérant de l’endroit. Celui-ci m’apprit qu’au mois de janvier, les pluies atteignaient leur pic. Je retournai chercher réconfort dans mon lit pour affronter cette triste réalité́. L’espoir ne reviendrait pas de sitôt. Nous étions le 2 janvier…

Des flots de rêve se déversaient sur moi, j’étais couchée dans mon lit, lasse et sans espoir. La fatigue se faisait ressentir, je n’avais à peine fermé l’œil de la nuit. Cela faisait trois jours que j’avais perdu mon porte-monnaie et trois nuits que je rêvais de le retrouver. Inattentive comme je suis, j’avais sûrement dû le laisser dans le temple que j’avais visité l’avant-veille. J’y retournai donc afin de vérifier. Je questionnai la personne de l’accueil qui chercha dans les objets trouvés, mais en vain. Ensuite, j’effectuai maintes recherches à l’intérieur, puis autour du temple et, enfin, j’ai fait la tournée dans les restaurants ainsi que dans les petits magasins de la rue, mais force était de constater que mon porte-monnaie était introuvable – j’aurais été naïve de persister dans mes recherches en croyant qu’il allait soudainement réapparaitre. Or, étant une personne optimiste, j’y ai cru jusqu’au bout. Mon séjour au Vietnam avait pourtant bien commencé, mais depuis trois jours c’était pénible – pour dire vrai, c’était la misère. Comment vais-je m’en sortir ? Cette phrase qui tournait en boucle dans ma tête. J’ai omis ces quelques détails essentiels ; j’étais seule, je ne parlais pas le vietnamien, et mon niveau d’anglais laissait à désirer. J’avais donc opté pour le langage des signes ; l’avantage était que mimer la perte d’un porte-monnaie était plutôt simple. Seulement, tout cela devenait inutile : il fallait agir. Alors j’ai fini par appeler mes parents pour les avertir de ma situation. Après des longues discussions coupées par des leçons de morales auxquelles je ne prêtais que peu d’attention, mes parents m’ont confié qu’il leur était impossible de me faire un virement d’argent. Une fin de mois compliquée m’a dit mon père… Le soir même, je m’écroulai dans mon lit et réfléchis pendant de longues minutes, désespérée. En posant ma tête sur le coussin opposé au mien, je sentis un objet dur : mon porte-monnaie.

Des flots de rêve se déversaient sur moi, j’étais couchée dans mon lit, lasse et sans espoir. Un lit est un grand mot. C’était plutôt une couchette. Pas bien large – il m’arrivait de me retrouver la tête contre le mur en me réveillant. Pas de coussin et un matelas dur (très dur). Rêver, c’est beau, mais tout dépend du contexte dans lequel on rêve et du contenu du rêve. Douze jours c’est peu me direz-vous, mais si je vous disais que cela fait douze jours que mon train est bloqué́ en plein milieu de la cambrousse vietnamienne, je suis sûre que vous changeriez d’avis. Vous l’aurez à peu près deviné, mes rêves se cantonnaient à l’arrivée de quiconque qui remarquerait le train arrêté́, à l’apparition soudaine de réseau ou à la présence de n’importe quel ingénieux en mécanique qui saurait résoudre le problème. J’avais le temps de rêver, car personnellement, la mécanique et moi n’avons jamais été amis, alors je n’étais pas d’une grande aide (pour ne pas dire inutile). En réalité́, il m’arrivait de me lever de mon lit, mais cela se faisait rare. Les deux premiers jours, je questionnai divers voyageurs sur les avancées, mais vu leurs têtes, autant vous dire que j’avais vite abandonné ce type de demandes. Je me levai aussi, deux ou trois fois dans la journée pour grignoter quelque chose au wagon restaurant (la ration était petite, car il fallait économiser, mais de tout façon le désespoir me faisait perdre l’appétit). Enfin, je ne me levai plus que pour faire mes besoins et pas plus que cela ; je n’eus plus envie de faire d’efforts pour prendre soin de moi, car j’en faisais déjà̀ suffisamment pour affronter la situation. Le quatrième jour, les réserves de nourriture fussent presque épuisées. Je me levai donc plus qu’une seule fois de mon lit pour aller manger, toujours à̀ une heure différente, puisque je n’avais plus aucun rythme. Le huitième jour, je craquai. Des larmes se déversèrent sur moi, comme mes rêves, à grands flots. On me rassura en me disant : « Tranquillise-toi, le problème est presque résolu », mais cette phrase je l’avais déjà̀ entendue le cinquième jour. Je ne les croyais plus et cela depuis longtemps. Les jours suivants, je constatai que personne dans ce train n’était ami avec la mécanique : le problème n’avait pas encore été résolu. À cette excellente nouvelle, vinrent s’ajouter quelques mots du conducteur très rassurant : « Désormais, nous n’avons plus que de l’eau ou du bouillon et les toilettes sont toutes bouchées ! ». Le onzième jour, je ne me levai pas une seule fois de mon lit jusqu’au lendemain. Enfin, le treizième jour, je me réveillai dans mon lit douillet, aussi affolée que rassurée : j’ai rêvé, je n’ai fait que rêver.

Lola Besson

Photo : © sourabhkrishna806

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