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Variations : Symboles

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Éric Senger qui prend la plume. Il vous invite dans une série de variations à partir d’une phrase donnée. Bonne lecture !

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Symboles

Une demi-lune, une feuille d’érable, deux fusées. Drôles de nom pour des bouts de métal. « Demi-lune » … bon, il est vrai que « demi-cercle » aurait été un peu fade comme désignation pour ces moitiés d’ovale en argent. Quant à « feuille d’érable », quel autre surnom pourrait-on donner à un petit pentagone de cuivre ? En revanche, appeler « fusées » ces espèces de double losange d’aluminium, c’est incompréhensible. On m’avait prévenu au bureau de change que les locaux avaient leurs petits sobriquets à eux pour la monnaie, mais un mois après mon arrivée, je n’arrivais toujours pas à m’y faire. J’avais l’impression d’avoir atterri au milieu d’une fête médiévale ou dans un monde où le rêve de tout enfant avait été réalisé, à savoir, celui de pouvoir utiliser l’argent du Monopoly dans la vraie vie.

Une demi-lune, une feuille d’érable, deux fusées. Encore et encore. Une demi-lune, une feuille d’érable, deux fusées. Jour après jour, encore et encore. Après la première semaine, la vieille est vaguement inquiète, elle se contente de remplacer son ensemble de dés en bois. Après un mois, elle s’agite, et au bout du troisième, l’inquiétude vire à la panique et à la paranoïa, elle se demande si quelqu’un essaye de la piéger. Elle s’arrange à nouveau, se procure un nouvel ensemble, mais elle demande qu’il soit gravé dans un bois différent, peut-être que les lancers seront différents cette fois. Une demi-lune, une feuille d’érable, deux fusées. Une demi-lune, une feuille d’érable, deux fusées. À chaque nouveau lancer : une demi-lune, une feuille d’érable, deux fusées. Finalement, la vieille va voir la diseuse du coin, et ensemble elles jettent dans un bol de bois le sujet de son angoisse. Elles ne peuvent que rester perplexes devant l’étrange présage qu’annonce le trio de dés. Une demi-lune, une feuille d’érable, deux fusées.

Une demi-lune, une feuille d’érable, deux fusées. Sculptés dans les pierres de la nécropole perdue, voici les symboles qui servaient de guide à travers les tunnels abandonnés. D’abord la demi-lune, ses extrémités toujours dirigées vers la gauche. C’était un vieil hommage à la chasseresse Artémis, à son outil favori, l’arc. En son centre se trouve en guise de flèche une feuille d’érable, sa pointe orientée dans la même direction que la courbe de l’arc, la tige vers ses extrémités. La feuille devait être juste assez grande pour épouser l’intérieur du croissant, sinon l’emblème était un leurre : il vous conduisait dans une mauvaise direction. Et sur la feuille, deux petites fusées croisées, elles aussi braquées sur la droite. La première, orientée vers le bas, s’interrompait juste avant la garde, alors que la lame et la garde de l’autre étaient complètes. Si les deux lames étaient intactes, ou alors si elles étaient toutes les deux incomplètes, ou alors si leurs positions étaient inversées, vous pouviez être sûr d’avancer droit dans un piège. Une autre subtilité à laquelle il fallait prêter attention : un minuscule bout d’onyx devait être serti sur le pommeau de la fusée endommagée. Gravé dans les roches parmi moult gribouillis plus étranges et obscurs les uns que les autres, il fallait reconnaître le bon symbole de ses imitations incorrectes, destinées à confondre les moins attentifs dans le labyrinthe souterrain. Alors que je m’aventurais plus profondément dans les catacombes, voici l’emblème qu’il m’avait fallu suivre pour atteindre la chambre funéraire secrète.

Éric Senger

Photo : © SevenStorm JUHASZIMRUS

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