La plume : BA7La plume : créationLa plume : littérature

Vie brève : Ptolémée Memphites

l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Léa Pfister qui prend la plume. Elle vous propose de plonger dans une vie brève, qui vous emportera dans l’ancienne Égypte… Bonne lecture !

* * *

Ptolémée Memphites

Celui qui aime son père

Ptolémée Memphites, premier fils de Ptolémée Evergète Tryphon, est né dans la capitale éponyme de l’ancienne Égypte le jour de l’intronisation officielle de son père comme roi de la dynastie lagide. On raconte que le nouveau souverain, alors sur le point d’accomplir les derniers rituels, aurait brusquement quitté le temple de Ptah, le couteau sacrificiel encore vierge de sang, pour serrer contre lui son premier-né, le symbole d’une nouvelle ère de paix au côté de sa sœur et épouse Cléopâtre Philometor Soteira.

Enfant calme et sage, adoré par le peuple de Memphis, ses jeunes années n’auraient été qu’éclat de rire et joie s’il n’avait pas rapidement perçu une inquiétude grandissante dans les yeux de sa mère. Depuis le second mariage du roi avec sa nièce, Cléopâtre Évergète, deux nouveaux héritiers étaient nés et le fragile équilibre dynastique semblait chaque jour plus près de se briser.

Un soir d’été, alors que le jeune prince venait de fêter ses onze ans, son père le manda auprès de lui. Il devait, lui dit le roi, avertir sa mère. Si elle continuait à soutenir le peuple dans sa révolte contre son règne, il s’exilerait hors d’Égypte. Mais il n’aurait d’autre choix que de l’emmener aussi, lui, son premier né. Bien loin de saisir la portée de ces paroles, l’enfant les avait rapportées à sa mère en ignorant à quel point son teint avait blanchi.

Quelques mois après cet évènement, alors que Cléopâtre Philometor Soteira régnait seule sur l’Égypte, le jeune Memphites fut enlevé par des membres de la garde royale et conduit jusqu’à Chypre où son père se trouvait déjà en exil avec sa deuxième épouse. Loin d’être apeuré, le jeune héritier, amené auprès du roi, l’avait regardé avec confiance. S’il ne comprenait pas encore les querelles dynastiques, il savait qu’il pouvait se fier à son père. Ne lui avait-il pas toujours manifesté soutien et amour ? Mais les yeux d’un enfant ne peuvent voir ce que même l’esprit de l’adulte le plus avisé répugne à imaginer. Et lorsque le roi se pencha pour enserrer son fils dans une implacable étreinte, l’enfant ne vit pas le couteau sacrificiel qui s’enfonça dans son cœur alors que l’écho de sanglots étouffés résonnait à son oreille. Quelques jours plus tard, à Alexandrie, la reine Cléopâtre Philometor Soteira recevait pour son anniversaire les morceaux découpés de son fils.

La guerre civile dura encore huit ans. Mais comme les crimes les plus odieux sont bien peu de choses dans la sombre machinerie du pouvoir, on finit par promulguer une amnistie générale. Ptolémée Evergète Tryphon, Cléopâtre Philometor Soteira et Cléopâtre Évergète régnèrent à nouveau en bonne entente.

Mais que personne ne s’offusque ! Le jeune Memphites ne fut pas oublié. Intégré au culte dynastique des Lagides, on le nomma φιλοπάτωρ :

celui qui aime son père.

Léa Pfister

Photo : © Frans van Heerden

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *