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Zoopoétique : Un festin en plein air fait un blessé et presque une victime

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, Béatrice Laini expérimente un exercice de zoopoétique. L’enjeu ? Se mettre à la place d’un animal… Cet exercice est inspiré de notre défi « L’écriture qui pousse » du mois de novembre 2021, consacré justement au règne animal. Saurez-vous trouvez qui est le narrateur ou la narratrice de cette histoire ? Bonne lecture !

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Un festin en plein air fait un blessé et presque une victime

Tchiiii Tchi Tchiiip (chantonnement… un peu faux) L’air frais caresse mon plumage et mes ailes déployées, en ce début de journée. Je bats des ailes un peu plus vite afin de me rapprocher rapidement de ma destination et scrute les alentours pour préparer ma descente. Je dois trouver à manger, la saison froide vient de débuter et il me faut constituer des réserves pour les prochains mois à venir. Tchitchip tchip (« Attention, j’arrive ! »). Atterrissage sur une surface plane. J’observe les environs : pour le moment, aucune menace à plumes ou à fourrure à l’horizon. Mes camarades me rejoignent. Tchip tchip (salutations). Hop hop… je saute à pattes jointes sur la surface et me rapproche du festin : des petits morceaux de nourriture dispersés et laissés à notre portée. Hop, hop je tente de m’en rapprocher davantage, mais toujours en surveillant mes arrières et en étant prêt à prendre l’envol à la moindre vibration, au moindre mouvement brusque et suspect. Pendant que les autres s’agitent autour d’un gros morceau de substance friable et insipide qui traîne au sol, je m’avance vers l’amas de miettes gisant un peu plus loin, sur la surface sur laquelle je me tiens. Je m’en approche en sautillant, je tends mon cou, j’ouvre le bec… mais au même moment, SKRIIIIIIII (un bruit strident retentit)… flap flap flap… me voici reparti aussitôt dans les airs, par précaution. J’ai pris peur. Je bats des ailes sur place, de sorte à ne pas trop m’éloigner de mon festin, tout en gardant un œil dessus pour éviter qu’un autre vienne me le (t)chiper. Tchip tchip (mes camarades me font signe qu’il n’y a plus de menace environnante). Nouvel atterrissage sur la surface plane et froide. Regard de chaque côté pour m’assurer que la voie est libre. Tchi Tchip (« cette fois, c’est la bonne ») hop hop… j’avance de nouveau… hop hop… les miettes se rapprochent de mon bec…*interruption* ffffrttttTchip Tchip Tchip ? (« on peut partager ? »). Un camarade s’est joint à moi et voudrait que l’on picore ensemble fffffrrtttTchiip ! je gonfle mon plumage et lui dit d’aller chercher ailleurs. Il s’en va. Il a compris mon message, bien que je n’aie pas été très convaincant, je me demande pourquoi il n’a pas insisté davantage… étrange… de si belles miettes qui n’attendent que d’être englouties… si proches et si fraîches ! Elles ne sont d’ailleurs plus qu’à un saut de ma position. Je vais pouvoir tranquillement me nourrir ! Tchi Tchi Tchip ! (« Il est bête l’autre ! »)

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Pendant ce temps-là :

« Oh mIAiOUs ce que je vois là est intéressant ! ». De mon pas feutré, je me rapproche furtivement du matériau dur et transparent qui me permet d’apercevoir à l’extérieur. Au loin : une belle proie. Une petite masse bruyante qui sautille et qui fera un parfait présent de reconnaissance pour le bipède sans queue qui est sous mon emprise, me nourrit et avec qui je partage mon logement. Je me fige, observe ma proie sans cligner des yeux, de sorte à évaluer la distance qui me sépare d’elle. Je tâche de ne pas faire de mouvement brusque afin de ne pas me faire repérer et surtout, de ne pas faire fuir cette petite masse bien trop occupée à se nourrir. Elle est fascinante ; je la contemple. Seule ma queue se balance de gauche à droite, prête à me donner l’élan pour bondir sur ma proie, lui donner un coup de patte pour l’assommer et enfin la saisir entre mes crocs. À la vue de cette petite masse dodue et appétissante, mon instinct de chasse me fait claquer des crocs et caqueter des sons similaires à ceux de la petite créature que je m’apprête à assaillir. Je me baisse de sorte à être au plus proche du sol et pouvoir courir vers elle. Au même moment, ma proie arrête de bouger et regarde dans ma direction. « MIaOu’rait-elle remarqué ? » Je ne bouge plus non plus, ne cligne même pas des yeux  ̶ mais mon regard est toujours figé sur elle. La cible se remet alors à manger. « MIAOUission accomplie : je ne me suis pas fait repérer ». « C’est le mIAoUment de passer à l’attaque. ». Je remue frénétiquement mon arrière-train de gauche à droite pour me préparer à sauter, fléchis les pattes arrière et m’élance… je vois ma proie se rapprocher à vue d’œil et je me vois m’en emparer, jusqu’à ce que… « MIIIIAÏE MIAAAAOUTCH » … je me heurte violemment, le museau le premier, contre le matériau dur et transparent, provoquant au passage un vacarme infernal qui fait aussitôt fuir ma proie, avant même que je n’aie eu le temps de reprendre mes esprits. Un peu étourdi, je constate que ma cible s’est volatilisée, après avoir réussi à manger tout ce qui traînait là. Quant à mIAOUoi, je me retrouve sans plus rien à chasser. Vexé par cet affront, je me résigne à passer une journée de plus à regarder dehors, manger, dormir et réclamer des caresses – bref, vivre ma vie de pacha(t) !

Béatrice Laini

Ce texte est tiré de la volée 2021-2022, animée par Magali Bossi et Natacha Allet.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

Photo : © taruku

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