La Geste d’Avant le Temps : épisode 31

Votre salon est trop petit pour vos ambitions ?

Vous rêvez de parcourir des étendues sauvages, des citadelles élancées, de terrasser des dragons, de rencontrer des elfes, de mettre la main sur un trésor… ou d’embarquer sur un bateau pirate ? La Geste d’Avant le Temps est un récit participatif qui veut remédier à l’exiguïté de nos domiciles et rêver d’un autre monde.

La Pépinière a réuni des rédacteurs très différents : amateurs, confirmés, jeunes ou plus âgés, sages, originaux, déjantés, bagarreurs… Ensemble, ils vont vous emmener dans une quête épique, entre fantastique et science-fiction – sur les ailes de leurs imaginations !

Entre le feuilleton et le cadavre exquis, La Geste d’Avant le Temps vous accompagnera chaque jour dans un texte évolutif et des aventures palpitantes. Nous espérons ainsi vous changer les idées, en cette période confinée… Que faire à l’issue du projet ? Lecture publique ? Publication ? Performance ? Nous cherchons encore des idées !

Alors, vous nous suivez ? C’est parti !

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 31 : le secret des Fre’Hem

Lisant une insondable perplexité dans les yeux du jeune homme, Je’An joua sa carte maîtresse :

« Regarde-moi bien, Hypérion, que constates-tu ? »

Le garçon se redressa pour dévisager son interlocuteur sous toutes les coutures. Je’An l’aida en ébouriffant ses cheveux… bruns…

« Tu n’es plus albinos ! Comment as-tu… ? »

« Tu vois ! On y arrive. C’était pour que tu m’identifies immédiatement dans une foule, on ne sait jamais, entre un serpent et une brebis ! Car on se perd aussi de vue dans le virtuel ! En prenant virtuellement l’apparence d’un albinos, je devenais bien plus visible », répondit simplement le jeune nomade en riant.

« Mais alors, tout ce que tu m’as raconté quand je me suis réveillé sous la tente ? Et les colonnes de pierre, le portail… »

« Dès ton réveil sous la tente, tu étais déjà dans EIEN. Notre douar de nomades, c’était juste un leurre, pour te conditionner. Nous avons “craqué” EIEN et t’y avons envoyé dès que nous avons compris que tu avais la harpe… et je t’ai accompagné virtuellement. Tout ce que nous avons vécu n’existe que dans nos esprits – dans notre imaginaire, si tu veux. EIEN a construit ces mondes virtuels selon des schémas narratifs d’avant l’Effondrement, d’après les codes littéraires et audiovisuels de l’époque. Les codes de l’imaginaire de cette ère du triomphe de l’univers des gamers… Euh, je crois que tu ne me suis plus, là ? ».

Hypérion releva la tête et soupira. Je’An lui tendit une main rassurante grâce à laquelle il se mit debout. Son regard ébahi balaya la grotte-cathédrale de cet univers bien réel – enfin, comment en être sûr ? – qu’il découvrait. Des centaines de Fre’Hem s’activaient sur d’étranges machines dotées de sortes de… cadrans où dansaient une myriade d’images et de symboles éclairés de l’intérieur… Je’An s’avança à ses côtés, le guidant gentiment :

« La grotte est un immense… euh… ordinateur », commenta Je’An. « Je sais que ce terme ne doit pas t’être très familier ; il fait partie de ces mots qui ont disparu, avec le temps… Lorsque notre planète s’est remise de l’Effondrement, nos autorités reconstituées ont décidé de prohiber toute technologie… enfin, de prohiber toute technologie trop avancée. Nous avons conservé un ensemble de techniques, comme l’horlogerie, la mécanique ou les dirigeables. Nous voilà donc revenus à une ère pré-industrielle ! Oui, je sais, encore des mots qui ne t’évoquent pas grand-chose, désolé. Depuis, nous devons nous débrouiller avec des énergies renouvelables, comme tu le sais – la force du soleil, celle du vent, sans parler des courants marins… Mais nous, les Fre’Hem, feignant de retourner au nomadisme, avons reconstruit des laboratoires en accueillant les scientifiques rescapés. Ceci afin d’être les gardiens de la planète et de veiller à ce qu’un nouvel Effondrement ne nous anéantisse pas cette fois-ci pour de bon. Bien nous en a pris car nous ne fûmes pas les seuls. Un groupe de fanatiques s’est retranché dans la zone interdite du Nord, dont nul d’entre nous n’a encore réussi à franchir la barrière énergétique, activée suite à une première catastrophe survenue avant l’Effondrement. Depuis, ils cherchent à tout prix à rétablir l’ancienne société, celle d’avant, qu’ils nomment celle du Divertissement Sans Limites. Nous les combattons sur leur terrain en nous infiltrant au cœur de leurs univers virtuels. Ils ont créé EIEN pour nous asservir à leur projet. Désormais, eux et leur création ne font qu’un. L’entité est comme une déesse créée par ces descendants des joueurs compulsifs de l’ancien monde. Nous ne savons pas qui ils sont, et parfois nous doutons même de leur existence physique… Nous les désignons simplement comme EIEN, leur identité collective. »

 « Mais les Mange-Temps, ils sont bien réels, eux » ? rétorqua Hypérion, perplexe.

« Oui, ce sont des cyborgs issus de certains des nôtres. Quand EIEN perçoit leur présence au sein des mondes virtuels qu’elle contrôle, elle les capture et les “augmente” pour servir son dessein : nous terroriser dans le monde réel afin que nous acceptions leur domination et la vie végétative, factice, qu’ils nous proposent au sein de EIEN. Les Mange-Temps sont donc des cyborgs que EIEN contrôle au sein de son monde numérique et envoie dans le monde réel… mais ce sont à l’origine de vraies personnes, capturées dans notre monde, dans le monde réel ! Ces prisonniers, ce sont les gens qui se retrouvent figés, après le passage des Mange-Temps : EIEN capture leur esprit et en fait de nouveaux cyborgs – de nouveaux Mange-Temps. Si on a l’impression qu’ils sont figés, ce n’est pas parce que le temps n’existe plus, c’est parce qu’ils sont prisonniers dans leur tête – dans l’univers d’EIEN. Tu me suis là ? »

Olivier May

Photo : ©Free-Photos

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